Tunisie : pourquoi la réconciliation pénale n’aboutit-elle pas ?

C’est à croire que la mayonnaise a du mal à prendre et que l’affaire est mal engagée au départ. En effet, il ne se passe pas une semaine sans que le président de la république Kaïs Saïed revienne au dossier de la réconciliation pénale qu’il souhaite faire aboutir rapidement mais qui semble faire du surplace.   

Par Imed Bahri

Hier encore, vendredi 8 mars 2024, le locataire du palais de Carthage a eu une réunion à ce sujet avec le Premier ministre Ahmed Hachani, la ministre de la Justice Leila Jaffel, sa collègue des Finances Sihem Boughdiri Nemsia et le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Fethi Zouhair Nouri. Il a encore une fois été question de «la sélection des membres de la commission nationale chargée d’examiner les demandes de réconciliation, notamment suite à la modification du décret n°13 du 20 mars 2022 relatif à la réconciliation pénale et à l’affectation de ses recettes», lit-on dans le communiqué publié par la présidence à l’issue de cette réunion.

C’est à croire que, deux ans après la promulgation de ce décret-loi ayant instauré la Commission nationale de réconciliation pénale (CNRP), dont la mission devait durer un an mais qui a dû être prolongée, on en est encore aux préambules, aux préliminaires et aux préparatifs, alors que les dossiers présentés tardent à être traités et que beaucoup d’opérateurs économiques croupissent en prison, accusés de corruption, en attente d’être édifiés sur le sort qu’on leur réserve.

L’économie nationale en bave

L’Etat, procédurier à volonté, passe son temps à corriger ses ratés et ses erreurs, comme s’il a l’éternité devant lui, mais en attendant, c’est l’économie nationale qui en bave, car ces incarcérations en série, et les menaces que ne cesse de proférer la plus haute autorité de l’Etat envers les opérateurs économiques soupçonnés de corruption, créent une ambiance délétère qui ne plaide pas en faveur d’une reprise de l’investissement, qui est passé de 24% du PIB en 2010 à 16% en 2023. Et rien n’indique qu’il va reprendre bientôt.  

«Les portes ont été rouvertes à ceux qui veulent sérieusement rendre son argent au peuple tunisien et ne pas se moquer de la procédure comme ils le faisaient auparavant. Après avoir opté pour la réconciliation, ils doivent suivre le bon chemin», a déclaré le président de la république, laissant ainsi entendre que le problème ne résidait pas seulement dans le texte de loi initial, qui laissait la porte ouverte à la procrastination et qui a dû être de ce fait révisé, mais dans l’attitude peu coopérative de certains hommes d’affaires qui rechignaient à payer les sommes qu’on exigeait d’eux et qu’ils devaient restituer au Trésor public.

Diviser pour régner

Cela dit, cette affaire a trop duré et on ne peut pas dire que, depuis la mise en route de l’opération de la réconciliation pénale, les hommes d’affaires corrompus ont rendu l’argent qu’ils ont spolié au peuple ou que le peuple lui-même en a tiré un quelconque bénéfice.

Jusqu’à quand va-t-on continuer à diviser les Tunisiens entre riches et pauvres, bons et méchants, vertueux et corrompus, patriotes et traitres, et de les opposer les uns aux autres, sans que personne ne tire le moindre bénéfice de cette guéguerre sans fin. Au contraire : tout le monde est en train de perdre un temps précieux qui aurait été mieux utilisé à créer des richesses et à relancer une croissance en berne (0,4% en 2023).

Ce n’est pas en appauvrissant les riches que l’on risque d’enrichir les pauvres, surtout lorsqu’on fait miroiter aux yeux de ces derniers la perspective d’un enrichissement sans effort qu’ils vont attendre encore longtemps.

A bon entendeur…  

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