Les États arabes doivent réaliser que dans l’esprit des Anglo-saxons et de leurs disciples israéliens, la frontière n’est pas un concept intangible issu d’une légitimité juridique mais d’un rapport de forces variable souvent influencé par la conjoncture internationale.
Par Dr Mounir Hanablia *
Qui savait que le club londonien Tottenham Hotspurs avait été baptisé d’après le chevalier Henry Percy, surnommé Hotspur par les Ecossais pour sa vaillance et sa bravoure pendant les combats?
L’histoire de ce guerrier du XIVe siècle mort en 1403 à Shrewsbury est d’abord celle de son illustre famille qui s’était vue confier la garde de la marche frontière du nord face aux Ecossais souvent soutenus par les Français.
Mais la famille Percy avait dû faire face à la concurrence d’une autre famille notable, les Neville, de la province nord dite le Northumberland, et s’en était dans un premier temps fort bien accommodée. Mais les choses ont commencé à dégénérer avec l’avènement du Roi Richard II lorsque Jean de Gand, son oncle, encourant sa colère, s’était réfugié chez les Ecossais, après s’être vu refuser le refuge par Henry Percy, duc de Northumberland. Mais les choses n’en étaient pas restées là; à son retour d’Ecosse à la faveur du pardon royal, Jean de Gand, duc de Lancastre, s’était vu interdire l’accès de Newcastle upon Tyne, ce qui était à tout le moins injustifié.
Succession d’attaques et de contre-attaques
Cependant, l’histoire du Northumberland n’avait été qu’une succession d’attaques et de contre-attaques entre Anglais et Ecossais, et à ce jeu, Hotspur avait fini par être fait prisonnier lors de la bataille d’Otterburn en 1488 parce qu’il avait attaqué le camp ennemi situé au bas de la colline et l’armée adverse dissimulée sur les hauteurs l’avait pris de flanc. La bataille qui marquait son triomphe avait été celle de Homildon Hill quatorze années plus tard et cette fois-là ce sont les archers gallois qui avaient fait la différence et le Comte Archibald Douglas dit «le perdant» avait été fait prisonnier. Mais entretemps en 1399 le Roi Richard II en conflit avec le Parlement avait été déposé, lorsqu’il avait saisi les biens des Lancastre, et le Roi Henry IV de Lancastre, son cousin et ennemi, s’était fait couronner à sa place avec l’assentiment de la noblesse, en particulier les Percy et les Neville. C’est alors que le pays de Galles s’était soulevé avec à sa tête Owen Glendower, celui qu’on avait dépossédé de ses terres, et le chevalier Hotspur était allé combattre les insurgés en mobilisant un contingent armé à ses frais. Ses appels au Roi afin de remplir ses obligations financières dues à un vassal en guerre étaient demeurés vains, et il était rentré chez lui désenchanté et désabusé.
Après la bataille de Homildon sus citée, les Percy avaient décidé de rançonner les seigneurs écossais faits prisonniers ainsi qu’il était d’usage afin de renflouer leurs finances mises à mal mais le Roi Henry IV le leur avait formellement interdit, entretenant ainsi leur courroux. Toutefois il leur avait accordé l’autorisation de s’approprier les terres écossaises qu’ils pourraient conquérir, mais lorsqu’ils avaient réclamé le remboursement des sommes engagées dans les guerres au Pays de Galles afin de lever de nouvelles troupes, ils avaient essuyé un nouveau refus, voyant ainsi leurs rêves de conquête freinés par la volonté du Roi.
En effet, un noble écossais avait rallié le camp anglais parce que la famille Douglas avait empêché le mariage de sa fille avec le Prince héritier d’Ecosse après en avoir été la maîtresse. Le Comte de Dunbar, puisqu’il s’agit de lui, un grand stratège militaire et un fin politique, était devenu un conseiller écouté du Roi Henry IV et il lui déplaisait que ses terres deviennent celles de la famille Percy par droit de conquête sur les territoires écossais. Qui plus est l’ennemi de Dunbar, Archibald Douglas, fait prisonnier à Homildon, s’était rallié aux Percy pour des raisons inconnues.
Une interminable guerre pour le pouvoir
Ainsi sur les inimitiés anglaises s’en étaient greffées d’autres, écossaises. Hotspur tirant parti des circonstances, décida tout simplement de détrôner le Roi Henry IV qu’il avait quatre années auparavant aidé à saisir la couronne. Pour ce faire, il mit à contribution les Gallois de Glendower. Ceux-ci attaquèrent le sud-ouest du pays de Galles afin de lui fournir une opportunité de se déplacer jusqu’à Shrewsbury, officiellement pour repousser les envahisseurs, en réalité dans le but de faire prisonnier le prince héritier d’Angleterre, surnommé Hal, le futur Henry V, et obliger son père à abdiquer.
Le manque de chance de Hotspur fut que le Roi ait levé des troupes afin de lui venir en aide; sans doute pris de jalousie ne voulait-il pas lui concéder le monopole de la victoire sur les Gallois. Et quand il atteignit Shrewsbury, son projet de rébellion était éventé et l’armée royale mobilisée accourait pour l’affronter.
Il est ici nécessaire de préciser que dans son déplacement de son fief du nord vers le pays de Galles, Hotspur n’avait amené avec lui qu’une poignée de fidèles. La grande armée du nord était demeurée garder la frontière écossaise, et son père n’était donc pas intervenu. Cela lui permettrait de nier toute implication dans la sédition de son fils jusqu’à ce que la sienne propre soit écrasée huit années plus tard.
Hotspur donc face à l’armée royale réunie à Shrewsbury, plus nombreuse, ne pouvait compter que sur les guerriers gallois. La bataille qui s’ensuivit fit de nombreuses victimes de part et d’autre d’abord par les tirs des archers. Le Roi Henry cédant à l’avis de Dunbar décida de ne pas plonger dans la mêlée et épargna ainsi sa vie. Trois des substituts à qui il fit porter les vêtements et les insignes royaux furent en effet tués par méprise. A la fin de la journée, alors que les opposants épuisés se préparaient à lancer un dernier assaut contre le Roi, Hotspur fut atteint par une flèche dans le visage, peut-être après avoir soulevé le bassinet de son casque pour boire, et sa mort scella le sort de la bataille. Le Prince héritier Hal reçut une flèche dans la joue et seule la dextérité d’un forgeron et la désinfection de la plaie par du miel entre autres en permit l’extraction sans dommages. Naturellement la bataille de Shrewsbury marqua le recul des Percy et l’ascension des Neville. Il n’empêche. L’Angleterre n’en retira pas la paix espérée. Les Neville soutenant la maison d’York se heurtèrent à la maison des Lancastre durant les trente années de guerre, appelées «Guerre des Deux Roses» qui se conclurent par l’avènement d’une nouvelle dynastie, celle des Tudor.
Lors de la décisive bataille de Bosworth, en 1485, les Percy soldèrent définitivement leurs comptes avec les Neville lorsque le Duc de Northumberland changea de camp scellant le destin tragique du Roi Richard III et l’accession au trône d’un autre Henry.
Tout cela n’est pas sans rappeler la lutte pour le pouvoir qui avait éclaté entre les deux familles de la Mecque, les Bani Hachem et les Bani Omeyya après la mort du prophète Mohamed et qu’on avait qualifiée de fitna. Les conflits en Angleterre entre familles rivales se réglèrent souvent définitivement sur les champs de bataille parfois après plusieurs décennies de conflits, ce qui permit de tourner la page, au contraire de la fitna qui s’installa dans la durée et se perpétua jusqu’à l’époque contemporaine avec des conséquences géopolitiques dramatiques du fait de la dimension théologique et même eschatologique conférée à cette guerre de succession par la création des partis sunnite et chiite.
Des frontières toujours mobiles
La guerre de Trente ans exclut plus tard définitivement la religion des conflits entre puissances européennes mais il s’agissait déjà alors d’Etats nations constitués comme la France, la Suède, le Danemark, à la différence des territoires musulmans.
Concernant la rébellion de Hotspur, il demeure nécessaire de comprendre les motivations des uns et des autres dans ce conflit. Il est patent que le Roi Henry Lancastre s’était mis à craindre la puissance des Percy dont le pouvoir s’étendait de la frontière nord jusqu’au Pays de Galles à l’Est. La perspective de leur victoire en Ecosse qui n’était pas impossible (ainsi que l’avait démontré l’exemple du Roi Edward Ier) faisait craindre la constitution d’un nouvel État indépendant dans lequel l’Angleterre proprement dite serait limitée à l’est et au sud du pays.
D’autre part, les relations anglo-écossaises durant des siècles s’étaient établies par-delà une frontière mobile qui se déplaçait du nord au sud selon les fortunes de la guerre, les intérêts des seigneurs de part et d’autre, les exactions contre les populations, et l’équilibre des forces du moment.
Cela n’est pas sans rappeler la politique actuelle du gouvernement israélien, héritier de la colonisation britannique, avec les Palestiniens et les États arabes voisins. Il faudrait que ceux-ci réalisent que dans l’esprit des Anglo-saxons et de leurs disciples israéliens la frontière n’est pas un concept intangible issu d’une légitimité juridique mais d’un rapport de forces variable souvent influencé par la conjoncture internationale. Autrement dit, si les Arabes veulent une frontière intangible, il faut qu’ils aient les moyens d’imposer une démilitarisation du territoire situé du côté israélien. Il y a une urgence à le comprendre et à agir en conséquence.
Médecin de libre pratique.
‘‘Hotspur: Sir Henry Percy and the Myth of Chivalry’’, de John Sadler, éd. Pen and Sword Military, 12 mai 2022, 256 pages.
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