La Tunisie a aujourd’hui grandement besoin de rectifier les erreurs et mauvais choix du passé notamment dans le secteur du transport, qui semble préoccuper au plus haut point le président de la république Kaïs Saïed. Mais le constat ne suffit pas, car les villes tunisiennes étouffent, et l’urgence des solutions à court, moyen et long termes se fait fortement ressentir.
Par Elyes Kasri *
La décision de remettre en état le parc transportuaire urbain vétuste, mal géré et mal entretenu, est louable en soi afin d’alléger le calvaire quotidien du Tunisien surtout les classes défavorisées qui n’ont aucune alternative pour aller étudier ou travailler.
Cette décision améliorera certainement le quotidien de ce segment de la population tunisienne mais risque de s’avérer insuffisante pour faire jouer au transport son rôle de vecteur de mobilité sociale, de productivité et de développement qui manque cruellement à la Tunisie.
Il n’est pas excessif de croire que, depuis son indépendance, la Tunisie a adopté une politique des transports qui a privilégié la route et la voiture individuelle au détriment des transports en commun surtout ferroviaires.
Le démantèlement du tramway et la réduction des voies ferrées héritées de la colonisation ainsi que la priorité accordée dans les villes et agglomérations tunisiennes aux véhicules automobiles font que les embouteillages et le coût individuel du transport en frais d’acquisition, d’entretien et d’énergie sont devenus un fardeau de moins en moins supportable pour l’Etat et les citoyens, en plus de faire des villes tunisiennes une jungle urbaine avec des problèmes d’encombrement, de pollution, d’accès et de stationnement.
Le contre-exemple du quartier Ennasr
Ceci tout en négligeant le citoyen piéton avec l’occupation sauvage des trottoirs déjà mal planifiés surtout dans les villes modernes à l’instar d’Ennasr dont l’avenue Hedi Nouira, la plus longue de toute la Tunisie (2400 m alors que l’avenue Habib Bourguiba, principale avenue de la capitale de dépasse pas 1500 m), et qui était censée être la meilleure avenue du continent africain, est un échantillon des maux et du laisser-aller de l’environnement urbain tunisien d’aujourd’hui et de demain, faute de changement de cap et de stratégie.
Cette avenue est à l’agonie à cause des problèmes de transport et de mobilité. Certains qui ont investi leur épargne pour l’acquisition d’un logement ou d’un commerce subissent un préjudice considérable et pensent qu’elle est déjà morte et se demandent s’il y a une politique d’Etat pour organiser les villes et leur éviter cette décrépitude fulgurante avec son coût social et économique ainsi que les pertes d’emplois et de recettes fiscales.
Par rapport aux villes modernes en Europe et en Asie, les villes tunisiennes, y compris le grand Tunis, ont un air anachronique qui donne une forte impression de mauvaises priorités, de politiques défaillantes et, dans de nombreux cas, de non-Etat.
La remise en état devrait dépasser le parc vétuste et viser une nouvelle politique du transport urbain et interurbain pour tenir compte des droits des citoyens à la mobilité sûre et économique et à un environnement sain loin de la pollution sonore et aérienne causée par les embouteillages permanents et le nombre de véhicules polluants qui circulent encore en Tunisie.
Pour une réorganisation des priorités
Aussi, outre une réorganisation des priorités pour favoriser les transports en commun et en particulier les transports ferroviaires urbains et interurbains, car plus économiques et moins polluants, il importe de mettre les collectivités locales face à leurs responsabilités dans la mise en œuvre de nouveaux plans de circulation conformes aux normes modernes et aux exigences sociales, économiques et environnementales.
Outre les directions techniques, chaque municipalité tunisienne devra être dotée d’une direction de la mobilité et du transport afin de veiller à planifier et organiser la mobilité piétonne et du transport individuel et surtout collectif routier et ferroviaire, conformément à un plan national concerté entre les ministères de l’Equipement, du Transport et de l’Environnement au sein d’une commission nationale sous la supervision directe de la présidence du gouvernement.
Cette exigence de développement et de modernisation est un préliminaire à toute stratégie de relance socio-économique et pourrait, grâce à une diplomatie de développement bien inspirée et outillée, obtenir les financements nécessaires pour les études et la mise en œuvre, dans le cadre des différents axes de la coopération internationale, institutionnelle, régionale, nationale et décentralisée.
La Tunisie a aujourd’hui grandement besoin de rectifier les erreurs et mauvais choix du passé notamment dans le secteur du transport en faisant preuve d’ambition, de créativité et d’audace.
Elle peut le faire. Il suffirait de le vouloir.
* Ancien ambassadeur .
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