Bourguiba, Ben Slimane et le 9 avril 1938 : Quelle histoire?!

Cet article s’inspire largement des ‘‘Mémoires’’ du Dr Slimane Ben Slimane et rappelle, à l’occasion de l’anniversaire des événements du 9 avril 1938 **, cette page importante de la lutte de notre pays pour l’indépendance. C’est également un hommage au Dr Ben Slimane dont beaucoup de Tunisiens n’ont presque jamais entendu parler et que l’histoire officielle et ses hagiographes, de 1956 à nos jours, ont ignoré et, parfois, gommé. (Illustration : Dr Ben Slimane et Bourguiba en 1937).

Par Moncef Ben Slimane *

Nous sommes en novembre 1937 et le Néo-Destour vient de clore les travaux du congrès de la rue du Tribunal. Habib Bourguiba, accompagné du Dr Ben Slimane, part pour une tournée de propagande dans les régions de l’intérieur…

A Menzel-Bou-Zelfa accompagné de Moufdi Zakaria, militant du Parti populaire algérien (PPA). Ce dernier fut étonné de la force du Néo-Destour, de son prestige… Bourguiba rentra à Menzel-Bou-Zelfa sur un cheval. Naceur Jellouli le ridiculisera dans le journal “La Dépêche Tunisienne” à la rubrique «Am el Hadj».

A Monastir c’était notre «quartier général». Chaque matin, nous partions vers un groupe de villageois. Nous tenions des réunions dans des maisons, dans des huileries.

La fusillade à Bizerte

C’est la fusillade à Bizerte qui annonça que la répression allait toucher la Tunisie après le Maroc et l’Algérie.

Après la fusillade, le Parti avait décidé d’envoyer Hédi Nouira, Mongi Slim et moi-même à Bizerte. Nous avions quitté Tunis au milieu de l’après-midi. Arrêtés sur la route par des gendarmes, on avait l’impression d’un pays en état de guerre. Arrivés à Bizerte, le contrôleur civil Mottes, à ses côtés le caïd Mohamed Salah Mzali, avait tenté de faire pression sur nous sans obtenir de résultats.

Nous avions quand même rencontré nos amis, encore sous le coup de la fusillade. Bougatfa s’attendait à être arrêté. Le lendemain, j’avais assisté aux obsèques des victimes de la fusillade. Le Parti communiste tunisien et les syndicats CGT étaient représentés par El-Gharbi, artisan tailleur. Tahar Ben Ammar assistait aux obsèques. Rentrés à Tunis, nous apprenions l’arrestation de Bougatfa.

Quelques jours après, je me rendis le soir à Bizerte avec Bourguiba pour tenir une réunion. Nous étions accompagnés de Mahmoud Bourguiba, le journaliste d’El-Zohra. Avant de rencontrer nos amis, le commissaire de police nous avait convoqués. Ensuite, nous avions tenu une réunion.

Le conseil national du 4 mars 1938

Un Conseil national très important fut tenu à la veille de la grande bataille qu’allait livrer le peuple tunisien contre le colonialisme, bataille qui durera jusqu’au début de 1943.

L’atmosphère était surchargée, mais la grande majorité des militants était consciente et résolue à tenir tête à la répression.

Un problème de détail se posait: celui de remplacer le Docteur Mahmoud Materi. Tahar Sfar refuse. On me fit la proposition, mais je répondis que ma situation matérielle n’était pas à la hauteur de ce poste. J’étais interne à l’hôpital Sadiki. Je vivais dans une chambre de l’hôpital, nourri par lui et gagnais 1000F par mois. On n’insista pas et on passa à des questions plus importantes. 

Au cours de ce Conseil, ma position était, qu’il fallait résister à l’offensive du colonialisme…

Les événements se précipitent. Ali Belhouane est révoqué de ses fonctions de professeur au Collège Sadiki. L’agitation estudiantine au Collège était continue. Les élèves étaient en contact permanent avec le Parti.

Ali Ben Youssef, élève à cette époque, avait joué un grand rôle dans cette agitation. Attia, directeur du Collège et Vieux-Destourien ayant des relations avec les agents de la Résidence, poussait à la répression…

Après les graves décisions prises par le Conseil national en mars 1938 et qui seront tenues secrètes, une grande tournée de propagande à travers toute la Tunisie fut décidée.

Il s’agissait d’informer les militants et les masses populaires de l’imminence de la répression et des actions à entreprendre pour lutter contre cette répression et gagner la bataille en définitive.

Youssef Rouissi et moi-même étions désignés pour une tournée dans la région de Béja, Souk El-Arba et Aïn Draham.

Dans les réunions qui ont suivi le Conseil national, on appelait les Tunisiens à ne pas payer l’impôt, au refus du service militaire, aux sabotages des voies ferrées, poteaux téléphoniques, ponts, etc.

Il était nécessaire de ne plus prendre de précautions oratoires et d’engager la bataille avec tous les atouts possibles. Nous savions que la bataille allait être dure, d’autant plus que la France était à la veille d’une guerre avec l’Axe…

Après la réunion de Souk El-Arba, nous en avions tenu d’autres au grand marché de Souk El Ahad, à Ain Draham et Tabarka. Nous voulions prouver que nous étions le pays réel et Peignon, le contrôleur civil, flanqué du colon algérien Mahiouz et du collabo tunisien Ben Henda, en faisaient autant pour prouver qu’ils étaient le pays légal…

Le lendemain matin, 4 avril, nous devions tenir une réunion à Oued Melliz. Nous nous préparions à partir avec Mohamed Ben Amara, un bon et sympathique militant de Souk El-Arba lorsqu’on est venu nous avertir que nous étions convoqués au commissariat où on nous signifia que nous étions arrêtés, si Youssef et moi-même. Conduits à la prison, nous avons été enfermés ensemble dans une cellule. De notre cellule, nous entendions de temps en temps les cris des manifestants dans la ville.

Tous transférés au Tribunal militaire

Mardi 5 avril au petit jour, nous fûmes transférés au Palais de Justice de Tunis. Le juge d’instruction, Darrodes, nous inculpa et nous voilà envoyés à la prison civile.

Nous n’étions pas complètement isolés de l’extérieur. Les premiers jours de la prison se passaient sans trop de secousses. Ce sont les événements de l’extérieur qui influaient, sur la vie de la prison. C’est à partir du 9 avril que les choses ont commencé à changer.

Pendant notre courte promenade de l’après-midi de ce même jour, le bruit de la fusillade nous arrivait nettement et à l’ampleur du drame qui se jouait dans les rues entre les Tunisiens désarmés et les forces de répression brutale qui souhaitaient impatiemment ce jour, l’angoisse me prenait au cœur…

Vers la fin de la journée du 9 avril, des cris de manifestants nous arrivaient de l’extérieur. Le lendemain, 10 avril, ce fut l’arrestation de Bourguiba et d’autres destouriens. L’après-midi, nous étions tous réunis…

Nous fûmes plus tard amenés et transférés au Tribunal militaire. Arrivés là,  nous étions installés dans des cellules et les militaires et gendarmes qui nous surveillaient s’amusaient à nous faire peur en parlant entre eux de l’exécution de nos amis, et en disant que nous étions là pour être exécutés à notre tour.

Nous étions soustraits individuellement de la cellule et c’était pour aller devant le juge d’instruction qui nous informa de notre inculpation. Après cela, nous fûmes transférés à la Prison militaire et c’était de nouvelles insultes et humiliations. Nos affaires étaient piétinées et l’harissa tâchait nos vêtements et autres objets.

Après cette fouille, nous fûmes placés chacun dans une cellule. Je respirais un peu après tant de secousses. Alors commença la vie à la Prison militaire de Tunis qui durera jusqu’à la fin des interrogatoires.

Le juge d’instruction chargé de notre affaire était le Lieutenant-Colonel De Guérin de Cayla. Il se flattait d’avoir envoyé à l’échafaud des hommes politiques en Afrique Noire et en Indochine. 

En 1938, le bureau politique du Néo-Destour fut condamné et transféré à la prison du Fort Saint Nicolas à Marseille d’où il fut libéré en 1943 par la gestapo allemande.

* Universitaire et activiste politique.          

** Les «événements du 9 avril 1938»  sont des émeutes qui ont lieu à Tunis dans un contexte de manifestations populaires revendiquant des réformes politiques, notamment l’institution d’un parlement, pas majeur vers l’indépendance de la Tunisie encore sous protectorat français. Débordées par un mouvement spontané, les forces de police et l’armée de l’occupation française ne rétablissent le calme qu’au prix de nombreux morts chez les émeutiers. Cette date est un évènement marquant du mouvement national tunisien. 

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