Gaza : un port trop tard

Le port en face de Gaza est une fantaisie. Les contribuables américains payent l’intransigeance du Premier ministre israélien et ses débordements à cause de l’hésitation de l’exécutif américain.

Par Mohsen Redissi *

C’est la dernière lubie des stratèges américains. Le chef de l’exécutif, Joe Biden, dans son discours sur l’Etat de l’Union, State of the Union, a laissé entendre que les États-Unis (EU) comptent construire un port mobile en haute mer face à Gaza, un corridor flottant pour acheminer l’aide humanitaire qui vient à manquer tous les jours.

Echec et mat de la diplomatie américaine

La plateforme proposée n’est que le roulement de tambour de l’échec grandiloquent de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. Repose en paix. Amen! Une politique assujettie au service de l’entité sioniste. Biden n’ose pas rappeler à l’ordre le Premier ministre israélien. Juifs américains et associations d’obédience sioniste pèseront lourd aux élections de novembre prochain. Revenir à la raison et à la légitimité, c’est reconnaître son fiasco.

Le jeu de rôle a été inversé. Netanyahu défie les EU à travers leur secrétaire d’Etat en affirmant publiquement en sa présence que l’assaut de Rafah est inévitable, avec ou sans le soutien américain. Il compte ainsi entraîner les EU dans une guerre qui les concerne désormais.

Au moment où le représentant permanent américain auprès des Nations unies défendait les intérêts d’Israël, l’Etat hébreu annonce la saisie de 800 ha de terres en Cisjordanie occupée. Des pays sont menacés de disparaître à cause de graves changements climatiques, Israël seul s’agrandit de guerre en guerre au détriment du droit international. Un appel flagrant à un nouvel exode. Des juifs sans terre sont sur la liste d’attente.

Deux vétos, une abstention, un bilan désastreux. Les EU justifient leur objection au Conseil de sécurité en ces termes : «Parce que le texte final ne contient pas le langage clé que nous considérons comme essentiel, notamment une condamnation du Hamas, nous ne pouvions pas le soutenir. Cette incapacité à condamner Hamas est particulièrement difficile à comprendre quelques jours après que le monde ait été témoin une fois de plus d’actes horribles commis par des groupes terroristes

Quant au porte-parole du département d’Etat, il pose comme condition sine qua none au cessez-le-feu le retour des otages, mot qu’il a utilisé dix-neuf fois dont seize fois «libération des otages». Il est le ventriloque d’une exigence de la société israélienne. Plus de cent milles victimes entre morts, disparus, et blessés ne pèsent guère dans la balance.

Les pionniers américains dans leur conquête du Far West disaient tout sourire «a good indian is a dead indian.» Cette devise est toujours de bon aloi quand il s’agit de Palestiniens. L’idée de construire un port n’est pas le remède, mais un placebo pour une population affamée dont le seul tort est d’avoir survécu aux bombardements de la veille. Sa construction en haute mer pourrait durer soixante jours et mobiliser plus d’un millier de soldats américains selon la Maison blanche, sans compter les jours de grande houle qui ralentirait toute progression et ferait perdre aux Américains quelques corps et quelques biens. Il semble que l’idée soit une proposition du président chypriote faite au tout début de la guerre pour débloquer une situation humanitaire insoutenable; les camions et les conteneurs guettent le feu vert d’un Israël intransigeant pour passer à Rafah.

Quai en eaux troubles

Personne ne peut prévoir l’impact écologique et environnemental sur toute la région est de la Méditerranée d’une opération d’une telle envergure. Le mouillage d’un quai nécessite des tonnes d’acier et de béton pour ancrer solidement la structure et son corridor. Le super chantier va briser le cycle naturel des courants marins, le cycle des marées et la migration des poissons en périodes de fraie. L’embarcadère va obliger les plaisanciers à changer de cap et les petits pêcheurs à faire des détours, de réadapter leurs habitudes et leurs coins de pêche. Ajoutez à cela la dégradation du littoral.

Le navire américain réquisitionné pour la construction de la jetée temporaire a largué ses amarres et a quitté son port d’attache en Virginie le 9 mars en mettant cap sur Gaza. Le génie militaire américain n’est pas à son premier essai; un corps rodé dans les tâches difficiles. Les vestiges des opérations du débarquement des troupes alliées sur les plages de Normandie, lors de la seconde guerre mondiale, témoignent de leur prouesse technique. Objets de curiosité pour les nostalgiques et sites de pèlerinage pour les soldats qui y ont pris part et leur famille.

Le port en face de Gaza est une fantaisie. Les contribuables américains payent l’intransigeance du Premier ministre israélien et ses débordements à cause de l’hésitation de l’exécutif américain. Les organisations humanitaires auront un corridor pour sauver un peuple qui risque de disparaître à cause de la famine. Il n’est pas exclu de voir Israël le torpiller sous prétexte que Hamas utilise la jetée pour introduire des armes dans l’enclave. Le quai n’est pas sous sa juridiction et ne peut ni le contrôler ni exiger des fouilles. Subirait-il le sort du pont sur la rivière Kwai, construit pendant la Seconde Guerre mondiale par des travailleurs forcés sous les ordres de l’armée japonaise, dynamité par l’équipe qui a mis tant d’efforts à le construire.

* Fonctionnaire à la retraite.

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