Kaïs Saïed et la dichotomie déstructurante de l’économie tunisienne

L’économie tunisienne actuelle souffre, entre autres maux structurels, d’une dichotomie entre les politiques du gouvernement, qui sont foncièrement libérales, et les conceptions socialisantes du chef de l’Etat. Le hiatus est énorme, qui s’exprime au cœur même de l’exécutif.

Imed Bahri   

Le président Kaïs Saïed a exprimé une nouvelle fois son hostilité à ce qu’il qualifie d’«économie de rente», en s’en prenant aux «quelques familles» qui, selon lui, accaparent l’essentiel de la richesse nationale.

Lors d’une rencontre, mercredi 24 avril 2024, au Palais de Carthage, avec le ministre de l’Economie et du Plan, Feryel Ouerghi Sebai, le chef de l’Etat a appelé à ce que les décisions économiques soient purement nationales, fondées sur de nouvelles visions qui rompent avec celles qui prévalaient dans le passé et «auxquelles, malheureusement, certains s’efforcent encore de revenir», a-t-il déclaré, selon le communiqué de la présidence de la république publié à l’issue de la rencontre.

Haro sur les instances économiques internationales!

L’économie de rente ne crée jamais de richesse et ne peut être un pilier de l’économie et de la croissance, a souligné Saïed. De plus, ceux qui en bénéficient sont quelques familles et les taux de croissance ne sont pas calculés sur la base de la richesse nationale mais sur celle que ces familles ont accumulée, a ajouté le président, sans qu’on comprenne de quoi il parle exactement, son style imagé ouvrant la porte aux interprétations les plus inattendues.

Le président de la république met-il en doute l’authenticité et la précision des chiffres publiés par l’Institut national de la statistique (INS)? On peut sérieusement le penser, d’autant que, dans sa propension à critiquer les instances économiques, nationales et internationales, Saïed a stigmatisé, une nouvelle fois, les «organismes autoproclamés de notation et de classement qui plaçaient la Tunisie dans des rangs avancés et lui attribuaient des marques d’approbation parce que ces familles étaient associées à des milieux étrangers», selon ses termes, mettant ainsi en doute les notations et les classements internationaux de la Tunisie sous les anciens régimes, qui étaient meilleures que ce qu’elles sont devenues aujourd’hui.

C’est comme si le président de la république met en doute les indicateurs actuels de l’économie tunisienne, qui sont, pour la plupart, parmi les plus faibles jamais atteints depuis la crise des années 1980. Si ces indicateurs étaient objectifs et scientifiques, la situation d’un certain nombre d’entreprises publiques ne serait pas celle qu’elle est aujourd’hui, a-t-il d’ailleurs expliqué. Sachant que les «organismes autoproclamés de notation» ont toujours, hier comme aujourd’hui, alerté contre la mauvaise gouvernance sévissant dans nos entreprises publiques…, sans jamais être écoutées par les gouvernements qui se sont succédé à la Kasbah au cours des vingt dernières années.

Croissance et /ou justice sociale

Saïed, qui plaide pour un partage plus équitable des richesses nationales, a souligné la nécessité d’accélérer l’élaboration de plans de développement équitables dans lesquels le rôle social de l’Etat ne serait pas négligé. «Il ne peut y avoir de véritable croissance sans justice sociale et pas de croissance économique sans que l’État assume son rôle social dans les domaines de la santé, de l’éducation, des transports et autres», a-t-il souligné.

Il reste donc à Madame le ministre de mettre en œuvre ces recommandations présidentielles. Or, tous les experts constatent une dichotomie entre les politiques économiques du gouvernement, qui sont foncièrement libérales, conformément aux engagements de notre pays, vis-à-vis de l’Union européenne et des autres bailleurs de fonds internationaux, et les conceptions socialisantes du chef de l’Etat. Et l’on se demande jusqu’à quand cette dichotomie «déstructurante» de l’économie tunisienne va-t-elle se poursuivre.

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