Même avec du recul, il semble difficile de résister à l’impression de précipitation et d’improvisation qui semble avoir régné sur le sommet tripartite tuniso-algéro-libyen du 22 avril 2024. Décryptage…
Par Elyes Kasri *
Outre la faible communication au sujet des motifs et des conclusions de la réunion au sommet, particulièrement du côté de la Tunisie, pays hôte, et à la lumière de l’urgence des problèmes auxquels sont confrontés les pays concernés, en premier lieu la porosité des frontières pour la contrebande et le trafic des êtres humains, et leurs lourdes conséquences socio-économiques et sécuritaires en particulier sur la Tunisie, la décision de créer une commission d’étude et de désigner des contacts, semble être en-deçà des attentes et des exigences de l’heure et pourrait rappeler le vieux dicton qui suggère de créer une commission pour noyer tout problème.
En attendant des décisions urgentes
Parmi les décisions urgentes et à prendre sur le champ, nous aurions pu nous attendre, dans une première phase et avec un effet immédiat, à ce qui suit:
1- la création d’une zone tampon frontalière entre les trois pays (10 à 30 km) ou les mouvements des nationaux de pays tiers (subsahariens) seraient strictement contrôlés;
2- la mise en place d’un canal de communication et d’un mécanisme de coordination opérationnelle entre les unités frontalières des trois pays pour suivre de près et contrôler les mouvements des contrebandiers et des groupes de migrants clandestins;
3- la création d’un fonds de développement des zones frontalières, grâce à la manne énergétique des pays voisins, pour créer des alternatives économiques crédibles et durables à la contrebande et à la migration illégale dans les zones frontalières entre les trois pays. Ce fonds pourrait financer des projets de mise en valeur agricole, de formation professionnelle et de financement de petites et moyennes entreprises;
4- la mise en œuvre d’une démarche diplomatique concertée en direction de l’Union Africaine, de l’Union Européenne et des institutions spécialisées des Nations Unies pour trouver des solutions collectives et durables à la problématique migratoire. Ces démarches gagneraient à associer le Maroc et l’Egypte, deux importants pays d’Afrique du Nord et dont l’apport diplomatique conférerait une plus grande crédibilité et efficacité aux démarches entreprises.
En l’absence de décisions concrètes applicables immédiatement, la rencontre tripartite de Tunis pourrait plutôt donner l’impression de la création d’un axe régional visant à donner publiquement l’impression du succès du président algérien Abdelmadjid Tebboune (en fin de mandat) à isoler le Maroc après avoir subi des revers diplomatiques en Afrique, en Europe et au Moyen-Orient et particulièrement après le refus de l’adhésion de l’Algérie au Brics.
Loin de nous l’idée de faire un quelconque bilan de la gestion économique et diplomatique de tout pays tiers car ce droit revient exclusivement aux nationaux du pays en question. Il revient toutefois à la direction tunisienne de rationaliser et d’expliquer les avantages de cette démarche et les moyens mis en place pour en atténuer les inconvénients et tout préjudice qui pourraient en découler.
La Libye marque une distance
Les Libyens, dont le président du conseil présidentiel avait l’air absent lors de la réunion tripartite et s’est même mis à somnoler lors de la lecture de la déclaration finale (cela lui a évité d’entendre écorcher son nom), s’est empressé de dépêcher un émissaire spécial auprès du Roi du Maroc, probablement pour lui donner des assurances que la Libye ne s’alignera pas sur un axe anti-marocain.
Un effort de communication reste à faire du côté tunisien pour montrer concrètement que la réunion tripartite de Tunis est un pas constructif vers une solution régionale et concertée des problèmes qui prennent une acuité croissante notamment en matière de mouvements transfrontaliers illégaux et non pas une exacerbation de l’affaire du Sahara occidental et un axe anti-marocain.
Il faut se rendre à l’évidence qu’on ne résout pas des problèmes en en créant de nouveaux et qu’une gestion durable et internationalement acceptable des mouvements transfrontaliers nécessite un élargissement des horizons et des partenaires, en évitant un tête-à-tête tant avec l’extrême droite italienne que deux pays voisins qui donnent la forte impression d’avoir d’autres priorités et objectifs.
* Ancien ambassadeur.
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