Maroc : Bientôt quatre ans dans le sillage d’Israël

La ministre israélienne de l’Intérieur, lors de sa visite en juin dernier à Rabat, a convenu avec les autorités locales de faire venir en Israël une main-d’œuvre marocaine bon marché. Une forme travestie pour couper l’herbe sous les pieds des journaliers palestiniens. Il faut les déloger le ventre creux, telle est la nouvelle devise commune.

Mohsen Redissi

Les temps se gâtent, le spectre de la guerre à Gaza plane sur le royaume, signe de mauvaise augure. Les soulèvements se multiplient dénonçant le rapprochement Rabat-Tel Aviv. Israël, par craintes de représailles, a fermé sa mission diplomatique et a recommandé à ses citoyens d’éviter de se rendre au Maroc. La visite que devait effectuer le Premier ministre Netanyahu au royaume cette année a été reportée mais pas annulée.

Aux cachots ces voix que je ne saurais entendre

Plusieurs militants sont derrière les barreaux, leur crime est d’avoir émis des réserves sur la justesse du jugement de leur Seigneur en apposant son sceau sur les Accords d’Abraham, signés à Rabat en décembre 2020. C’est la banalisation des relations entre le Maroc et Israël sous l’œil attentif et vigilant des Etats-Unis. Le Maroc en est le quatrième. Ces accords ont profondément creusé le fossé entre les pays de la région. Tout rapprochement avec l’ennemi juré est une trahison. La réunion tripartite Tunisie-Algérie-Libye le 22 avril à Tunis est une évidence. 

Dans un royaume où les choix du monarque sont une exigence, les réseaux sociaux sont étroitement surveillés. Des verdicts sévères tombent contre ceux qui osent critiquer la normalisation avec l’ennemi. L’activiste Abdul Rahman Zankad écope de cinq ans de prison; une sentence jugée grave quand une vague de protestations secoue le pays. Le mutisme des autorités inquiète. Les narcotrafiquants marocains ont cessé de fournir les dealers israéliens en cannabis. C’est stupéfiant, les dealers oui, le roi laa.

Espace de discorde

Le roi du Maroc reçoit le Sahara occidental en annexe secrète de sa signature de ces accords. Donnant donnant. Une belle récompense qui va changer la physionomie du royaume et son histoire. Un territoire riche en phosphate, disputé depuis le retrait de l’Espagne entre le Front Polisario qui veut y établir sa République arabe sahraouie démocratique, Rasd, la Mauritanie, l’Algérie et le Maroc.

Trois ans plus tard, juillet 2023, Israël reconnaît officiellement la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Tel Aviv n’est pas pressé, Rabat oui. Pour bien exacerber les tensions entre les pays du Maghreb, les E-U et Israël comptent établir chacun un consulat dans la ville de Dakhla, ville située au Sahara occidental. Territoire non autonome selon l’Onu. Le département d’Etat considère l’ouverture d’un consulat à Dakhla comme un renforcement d’une coopération bilatérale au service du continent africain. Il vient d’allouer une enveloppe de 1,5 million de dollars pour financer des projets de développement à hauteur de 200 000 à 500 000 dollars pour chaque projet dans deux localités situées au Sahara occidental, Laâyoune et Dakhla.

L’initiative fait des jaloux. La France s’invite, touchée dans son for intérieur. Le Maroc est une ancienne colonie et un fief qu’elle ne peut abandonner aussi facilement. Paris est disposé à accompagner Rabat dans ses efforts de développement du Sahara. On compte financer la ligne haute tension entre Dakhla et Casablanca. Le Polisario condamne fermement les bonnes intentions de la France. En venant au secours du roi M6, elle bénit l’annexion et tolère la violation du droit international. 

Bruits de bottes

Le Maroc est devenu un terrain miné. Israël semble y avoir jeté son dévolu. Un an à peine après la signature des accords, Rabat et Tel Aviv signent un accord-cadre de coopération sécuritaire et lancent des projets conjoints sous le regard vigilant d’Alger. La Kasbah dénonce ce rapprochement, qualifié d’acte hostile, et se voit obligée de geler ses relations diplomatiques avec Rabat en 2021. 

Le Maroc compte se doter de deux satellites espions israéliens. Les stratèges marocains semblent avoir oublié l’affaire Pegasus; un logiciel espion israélien qui s’introduit dans le système de la partie installatrice et accède ainsi à toutes les données supposées restées secrètes. Rabat n’est qu’une puce dans le grand tableau de commande. Récemment BlueBird a confirmé l’ouverture prochaine d’une usine de fabrication de drones sur le sol marocain. Le royaume ne s’offusque pas d’afficher clairement ses intentions de devenir un marchand d’armes, quitte à pactiser avec le diable, Israël. Il espère se hisser dans le concert des pays exportateurs d’armement et occuper une place de choix. Cette ambition dévorante inquiète l’Espagne qu’elle considère comme une menace et se méfie des visées hégémonistes du nouveau Maroc. Ceuta et Melilla se balancent entre une ancienne puissance coloniale et un Maroc émergent.

C’est à Israël que Rabat s’est adressé à la recherche d’un allié et d’un appui pour construire sa centrale nucléaire civile. Les grandes puissances sont moins regardantes quand il s’agit de l’Etat hébreu; l’évocation du nom provoque la tremblote chez certaines capitales. 

Joe Biden en signant la loi sur le budget de la défense pour l’année 2024 a étroitement lié le soutien militaire américain au Maroc (p.299-300) à son respect des Accords d’Abraham.

D’après l’Abraham Accords Peace Institute, le volume des échanges commerciaux entre Rabat et Tel-Aviv enregistre chaque année une nette augmentation. Rien que pour l’année 2023, il a atteint 116 millions de dollars. L’ouverture de nouvelles lignes aériennes a dynamisé les échanges. Une large communauté juive vit encore au Maroc et ceux qui ont quitté le royaume ont toujours gardé leurs attaches avec la mère patrie.

* Haut fonctionnaire à la retraite.

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