Depuis l’opération Déluge d’Al-Aqsa menée par le Hamas dans les territoires palestiniens occupés, le visage des colons israéliens est à nu. Des voix s’élèvent, même parmi la majorité des Juifs révulsés par le comportement de leurs coreligionnaires et les menaces qui pèsent désormais sur le destin de la démocratie en Israël, dominée tel qu’il est par les nationalistes religieux qui veulent éradiquer les Palestiniens et exproprier leurs terres.
Samir Gharbi *
L’attaque surprise du 7 octobre 2023 a été sanglante pour des citoyens juifs insouciants du danger qui les guettait sur le lieu même de leur festival, situé pourtant à quelques dizaines de mètres de la frontière palestinienne, laquelle était dument contrôlée par l’armée israélienne depuis 2007… Aussi puissante soit-elle, l’armée d’un Etat colonisateur a, cette nuit là, failli dans sa mission (les historiens le démontreront un jour dans les livres et les stratèges militaires dans leurs cours)…
Les conséquences de cette attaque palestinienne (qui répondait à 16 ans de blocus ignoble et de maltraitance) et de cette faute israélienne, montrent jour après jour l’extrême sauvagerie des colons israéliens : sous prétexte de liquider «les terroristes du Hamas», Israël s’en prend physiquement à plus de 2 millions de Palestiniens à Gaza et à autant d’autres en Cisjordanie… Il s’en prend même aux cimetières – en les détruisant !
Les bras ligotés
Depuis plus de six mois, les pouvoirs occidentaux – Etats-Unis en tête – regardent ahuris, mais imperturbables dans leur soutien sans limite à Israël. Ce sont les bombes et les avions fournis par l’Occident qui servent dans cette guerre inégale à tuer les innocents par centaines et à détruire leurs villes, chaque jour.
Les pouvoirs occidentaux sont solidaires, mais la plupart des populations occidentales sont désormais conscientes de ce comportement anachronique des extrémistes israéliens – qui utilisent la Bible comme faire-valoir de leurs droits sur l’ensemble des terres palestiniennes. Les jeunes, en particulier, se réveillent, se révoltent. Il ne se passe pas un jour où ils ne manifestent pas à New-York, à Londres, à Paris ou ailleurs. Leur mobilisation n’a pas encore atteint une ampleur et une cohérence qui permettent un retournement de situation en faveur de la justice et de la paix.
Les institutions internationales, établies après la Seconde guerre mondiale pour préserver la paix en privilégiant le dialogue, ont les bras ligotés par la puissance américaine et la complicité de ses alliés. Certes leurs chefs parlent haut et fort, mais ils sont incapables d’imposer quoi que ce soit à l’Etat hébreu, même pas une assistance humanitaire comme il se doit.
La vérité a éclaté au grand jour. Le visage des colons israéliens est à nu. Des voix s’élèvent, même parmi la majorité des Juifs révulsés par le comportement de leurs coreligionnaires et les menaces qui pèsent désormais sur le destin de la démocratie en Israël, dominée tel qu’il est par les nationalistes religieux qui veulent éradiquer les Palestiniens et exproprier leurs terres.
La fin de l’innocence
Au cours d’un meeting organisé à Paris le 30 mars, l’Union juive française pour la paix a permis à plusieurs observateurs de s’exprimer (voir le site de l’UJFP et sa charte**). Parmi eux, j’ai noté le philosophe et chercheur français Frédéric Lordon (62 ans). Il a dit tout haut ce que l’Occident ne veut pas entendre. Concrètement, le temps de l’innocence innée d’Israël est révolu.
Son texte a été publié, en accès libre, sur le Blog du Monde diplomatique, le 15 avril. Voici quelques extraits :
«Les bourgeoisies occidentales sont viscéralement du côté d’Israël. Elles considèrent que la situation d’Israël est intimement liée à la leur, liaison imaginaire, à demi-consciente qui, bien plus qu’à de simples affinités sociologiques, doit souterrainement à un principe de double sympathie, lui parfaitement inavouable : sympathie pour la domination, sympathie pour le racisme — qui est peut-être la forme la plus pure de la domination, donc la plus excitante pour les dominants.
«Après la Shoah, Israël s’est établi dans l’innocence. Les Juifs ont d’abord été victimes de la persécution humaine. Mais victime, fût-ce à des sommets, n’entraîne pas «innocent pour toujours».
«La bourgeoisie occidentale en est hypnotisée et aussitôt prise dans une solidarité-réflexe.
«Les humains ont plusieurs moyens pour ne pas regarder en face leur propre violence et pouvoir s’établir dans l’innocence quoiqu’en se livrant à toutes leurs autres passions, notamment à leurs passions violentes, à leurs passions de domination. Le premier consiste à dégrader les autres humains sur qui ces passions s’exercent : ils ne sont pas véritablement des humains. Par conséquent le mal qu’on leur fait est, sinon un moindre mal, un mal moindre. En tout cas il n’est certainement pas le Mal, et l’innocence n’est pas entamée.
«Les innombrables, les ahurissantes violences infligées au peuple palestinien depuis presque quatre-vingts ans étaient vouées à revenir. Seuls ceux qui ne possèdent que la condamnation étaient assurés de ne rien voir venir avant, ni de ne rien comprendre après.
«De quoi le camp du soutien inconditionnel se rend-il solidaire, et à quel prix, c’est ce que lui-même n’est à l’évidence plus capable de voir. Pour tous les autres qui n’ont pas complètement perdu la raison, la perdition idéologique où sombre le gouvernement israélien est sans fond.
«Le propre d’une colonisation quand elle est de peuplement, c’est qu’elle enveloppe l’élimination de toute présence du peuple occupé — dans le cas du peuple palestinien soit par l’expulsion-déportation, soit, nous le savons maintenant, par le génocide.
«Voilà ce qui surgit quand le voile de l’innocence est levé, et comme toujours, ça n’est pas beau à voir.»
* Journaliste.
** Je cite : «Le conflit entre Israéliens et Palestiniens ne peut être résolu qu’en mettant un terme à la domination d’un peuple par un autre, et en mettant en œuvre le droit à l’autodétermination pour le peuple palestinien, y compris le droit de créer son propre État indépendant. Le retrait d’Israël des territoires occupés depuis 1967 constitue une étape nécessaire à l’accomplissement de l’autodétermination palestinienne. Le droit à l’autodétermination est déjà, bien entendu, clairement établi pour le peuple israélien.»