La bonne nouvelle est que le gouvernement veut améliorer le climat des affaires pour dynamiser l’investissement, principal levier de la croissance économique et de la création de richesses et d’emplois. Mais le problème est qu’il ne suffit pas de le vouloir ou de le dire pour que cela se réalise. L’incantation ne saurait tenir lieu de politique. Expliquons-nous !
Imed Bahri
Le Premier ministre Kamel Madouri a en effet déclaré, mercredi 14 août 2024, en présidant la cinquième réunion du Haut conseil pour l’investissement que «la dynamisation de l’investissement et l’amélioration du climat des affaires sont parmi les priorités du travail du gouvernement», tout en appelant à «œuvrer pour attirer des investissements à haute valeur ajoutée, en particulier les grands projets d’importance nationale».
Selon un communiqué de la présidence du gouvernement, Madouri a également appelé à prendre soin des investisseurs en les aidants à surmonter les difficultés administratives auxquelles ils sont confrontés, soulignant la nécessité d’aborder les questions liées aux projets de développement afin de stimuler le rythme de leur réalisation.
La réunion a discuté également des moyens de garantir que l’agrandissement d’une unité de fabrication de composants électriques pour automobiles dans la zone industrielle d’Ertiyah 2, dans le gouvernorat de Jendouba, ait lieu dans les plus brefs délais.
Inventaire des problèmes
Le Premier ministre a, d’ailleurs, ordonné l’élaboration d’un inventaire exhaustif de tous les problèmes, notamment immobiliers, qui entravent la réalisation des projets d’investissements publics et privés. Il a également ordonné une révision immédiate de tous les textes juridiques et procédures qui entravent la réalisation de ces projets, indique un communiqué de la présidence du gouvernement, ajoutant que Madouri a souligné la nécessité pour toutes les structures centrales et régionales, dans leurs domaines de compétence respectifs, d’aplanir les difficultés entravant les investissements, de renforcer le suivi de la mise en œuvre et d’apporter l’appui nécessaire des structures compétentes.
Il a également appelé à accélérer l’élaboration des textes juridiques nécessaires pour que les entreprises dont les projets ont été approuvés par les structures compétentes puissent effectivement démarrer leurs activités et soumettre ces textes à la ratification.
Tout cela est bien beau, sauf que cela a souvent été dit et répété par les dizaines de chefs de gouvernement et de ministres qui se sont succédé depuis 2011, sauf que, comme l’a du reste fait remarquer le président de la république Kaïs Saïed il y a quelque temps dans une formule restée célèbre : «Depuis le temps que l’on essaie de relancer l’investissement, mais il ne veut pas se relancer». Et il ne croyait pas si bien dire. Puisque, lors de sa 4e réunion, le 8 mars dernier, le Conseil supérieur de l’investissement avait fait part d’une baisse de 2,25% de l’investissement observée depuis le début de 2024 dans le pays.
Déclarations soporifiques et effets d’annonce
Le taux d’investissement était de l’ordre de 16,5% du PIB en 2023, associé à un taux d’épargne modeste de 10,8% et à une croissance faible de 0,4% (0,2% seulement depuis le début de cette année). Ceci est dû à un environnement national et international non favorable se traduisant par la fermeture de centaines d’entreprises industrielles au cours des 5 dernières années, ce qui a occasionné la perte de milliers d’emplois.
En plus d’autres facteurs endogènes et exogènes, le maintien du taux d’intérêt par la Banque centrale de Tunisie à des niveaux très élevés, soit 8% (contre 2,75% au Maroc et 3,5% en Algérie), pour soi-disant contrer une inflation qui ne baisse pourtant pas et reste autour de 7,3 % (contre 1,8% au Maroc et 6,8% en Algérie), ainsi que le recours massif de l’Etat aux crédits intérieurs, ne sont pas de nature à favoriser la reprise escomptée de l’investissement, estime la majorité des économistes tunisiens, l’Etat accaparant pour lui-même les liquidités bancaires et finançant ses dépenses faramineuses par l’endettement, intérieur et extérieur, lequel est en train de s’approcher dangereusement du plafond de 100% du PIB.
Voilà où en est l’économie tunisienne qui ne semble pas, dans l’état actuel des choses, avec le climat de suspicion généralisé qui règne dans le pays, en mesure de se relancer, sachant qu’au cours de la dernière décennie, le taux de croissance annuel moyen n’a guère dépassé 1,5 à 2,5%, contre 4,5 à 5,5% au cours de la décennie qui a précédé la «révolution» du 14 janvier 2011.
Le gouvernement peut donc multiplier les déclarations soporifiques et les effets d’annonce (une nouvelle loi par-ci, une mesurette par là…), la reprise de l’investissement exige une véritable révolution au sein de l’administration publique, dont la bureaucratie constitue l’un des freins majeurs à la création des richesses, et du milieu des affaires qui est très conservateur, peu ambitieux et gagne-petit. Cette reprise espérée exige aussi la mise en route de réformes structurelles courageuses et en harmonie avec les exigences de l’époque, en termes de transparence, de compétitivité et d’équité. Mais aussi de liberté d’entreprendre et de retrait de l’Etat de certains secteurs concurrentiels.
On en est malheureusement encore très loin, et quand on voit le nombre élevé d’opérateurs économiques privés actuellement en prison, poursuivis dans diverses affaires, on ne peut espérer voir l’investissement reprendre de sitôt. Car ces incarcérations, quand bien même elles seraient judiciairement justifiées, influent très négativement sur le moral des opérateurs privés encore en liberté, brident leur élan et les dissuadent de courir de nouveaux risques en investissant. Car il n’y a pas d’investissement sans risque…