La génération des orphelins de Gaza

Depuis plus de dix mois et bientôt une année c’est un génocide qui est perpétré par Israël à Gaza. Telle est la qualification juridique selon la définition même du terme. L’une des principales et douloureuses conséquences de cet interminable génocide, c’est qu’aujourd’hui il y a une génération d’orphelins dont le chaos actuel ne permet pas de calculer le nombre exact. Le monde dit civilisé qui ne cesse de s’émouvoir et d’avoir le cœur serré quand il s’agit des quelques dizaines de détenus israéliens à Gaza relativement bien traités – par l’aveu même de ceux d’entre eux qui ont été libérés jusque-là – devrait ouvrir les yeux et s’émouvoir aussi sur le sort des milliers d’orphelins palestiniens qui souffrent le martyre. 

Imed Bahri

Une enquête du New York Times préparée par Vivian Yee et Bilal Shbair évoque la situation des familles élargies, du personnel hospitalier et des bénévoles qui tentent de prendre soin du nombre croissant d’enfants orphelins à Gaza dont certains souffrent de traumatismes et sont hantés par les souvenirs de leurs parents.

Le journal indique que les enfants ont hâte de revoir leurs parents. Ils sont convaincus que cela se produira dès qu’ils pourront retourner dans la ville de Gaza où ils ont grandi avant que la guerre ne détruise leur vie.

«Maman et Papa nous attendront là-bas», disent Mohammad, Mahmoud, Ahmed et Abdullah Akeila à leur tante Samar qui s’occupe d’eux. Ils disent cela même si on leur a dit que leurs parents étaient morts et cela depuis des mois, depuis le bombardement aérien qui a frappé les environs de l’endroit où la famille se réfugiait.

À l’exception d’Ahmed, l’avant-dernier, âgé de 13 ans, aucun d’eux n’a vu les corps. Les frères passent chaque instant à pleurer et sont presque incapables de parler. La fête des mères a été difficile tout comme l’Aïd Al-Fitr, mais ils s’accrochent toujours à l’espoir. Abdullah, 9 ans, dit qu’il peut entendre la voix de sa mère tous les soirs au moment de la prière d’Al-Maghreb (prière du soir).

Leur tante, Samar Al-Jaja, 31 ans, qui vit sous une tente avec les enfants dans la ville de Khan Yunis, au sud de Gaza, se sent confuse: «Quand ils voient d’autres parents porter leurs enfants et leur parler, comment se sentent-ils?» 

Des bébés que personne n’est venu réclamer

Le NYT ajoute que la guerre à Gaza prive les enfants de leurs parents et les parents de leurs enfants, corrompt l’ordre naturel des choses et déchire l’unité fondamentale de la vie à Gaza. Cela crée un tel chaos qu’aucune agence ou groupe de secours ne peut compter le nombre d’orphelins.

Le personnel médical affirme que les enfants errent dans les couloirs des hôpitaux. On a pris soin d’eux après qu’ils aient été emmenés couverts de sang et seuls, et comme certains hôpitaux les décrivent, «un enfant blessé et sans famille en vie». Les unités néonatales hébergent également des bébés que personne n’est venu réclamer.

À Khan Yunis, un camp géré par des bénévoles a été créé pour héberger plus d’un millier d’enfants ayant perdu un ou leurs deux parents, dont la famille d’Akeila. Il existe une section dédiée aux «survivants seuls», c’est-à-dire aux enfants qui ont perdu toute leur famille, à l’exception peut-être d’un frère ou d’une sœur. Et il y a une longue liste d’attente.

Au milieu des bombardements et des évacuations constantes de tente en tente et d’appartement en hôpital en refuge, personne ne peut savoir combien d’enfants ont perdu leurs parents et combien les ont perdus à jamais. En utilisant une méthode statistique dérivée de l’analyse d’autres guerres, les experts de l’Onu estiment qu’au moins 19 000 enfants vivent désormais loin de leurs parents que ce soit avec des proches, des soignants ou bien seuls.

Toutefois, le chiffre réel pourrait être plus élevé. Aucune autre guerre n’a impliqué autant de bombardements et de déplacements dans un endroit aussi petit et surpeuplé avec un pourcentage aussi élevé d’enfants, a déclaré Jonathan Krekes, porte-parole de l’agence des Nations Unies pour l’enfance (Unicef).

Le journal mentionne que des dizaines de milliers de personnes ont été tuées dont un grand nombre d’enfants. En avril, 41% des familles interrogées par l’Unicef à Gaza s’occupaient d’enfants qui n’étaient pas les leurs.

Certains enfants sont nés orphelins après le décès de leur mère pendant l’accouchement. Le docteur Deborah Harrington, une obstétricienne britannique, dit avoir vu deux bébés naître de cette façon alors qu’elle faisait du bénévolat à Gaza en décembre. Souvent, les enfants sont séparés de leurs parents lorsque les forces israéliennes arrêtent leurs parents ou après une frappe aérienne et les enfants sont transportés seuls vers les hôpitaux dans la confusion.

Les médecins affirment avoir soigné de nombreux enfants récemment devenus orphelins dont beaucoup ont été en plus amputés d’un membre. «Il n’y avait personne pour leur tenir la main, personne pour les réconforter pendant ces opérations douloureuses», a déclaré le docteur Irfan Galaria, un chirurgien plasticien de Virginie qui s’est porté volontaire dans un hôpital de Gaza en février.

Les secouristes tentent de retrouver les parents, s’ils sont vivants, ou des proches mais les systèmes gouvernementaux qui auraient pu aider se sont effondrés. Les communications sont intermittentes et les ordres d’évacuation déchirent les familles et envoient des fragments dans toutes les directions.

Souffrant de traumatismes graves, les enfants se murent dans le silence

Le journal a indiqué également que certains jeunes enfants souffrent de traumatismes si graves qu’ils gardent le silence et ne peuvent pas donner leur nom, ce qui rend les recherches presque impossibles, selon l’Association internationale des villages d’enfants (SOS), un groupe humanitaire qui gère un orphelinat à Gaza.

Mennat Allah Salah, 11 ans, parle constamment de ses parents. Devenue orpheline en décembre dernier, elle imite la façon dont sa mère rit, fait des clins d’œil et marche. Elle porte les baskets de sa mère et son T-shirt préféré malgré qu’ils soient trop grands. «Ma mère était tout pour moi», dit-elle, en larmes, et elle n’a pas pu continuer à parler. 

Parmi les bébés prématurés arrivés à l’hôpital émirati de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, en novembre, se trouvait une fillette de 3 semaines dont la famille était inconnue. Son dossier indiquait qu’elle avait été retrouvée à côté d’une mosquée dans la ville de Gaza après une frappe aérienne qui a tué des dizaines de personnes, selon Amal Abu Khatla, une infirmière néonatale à l’hôpital. Le personnel l’appelait «Anonyme».

Cependant en janvier, Abu Khatla s’est sentie perturbée par la cruauté de cette appellation alors elle a décidé de lui donner un nom approprié: Malak (ange en arabe). Elle a contacté des journalistes dans le nord de Gaza pour savoir quelles familles avaient perdu des membres lors d’un raid près de l’endroit où Malak a été retrouvée puis a interrogé ces familles au sujet d’une petite fille disparue mais en vain.

En janvier, Abu Khatla l’a ramenée chez elle. Elle a déclaré: «J’ai l’impression que Malak est ma vraie fille. Je l’aime. Même mes amis disent qu’elle me ressemble maintenant.»

Dans la plupart des cas, disent les responsables humanitaires, les familles élargies et interconnectées de Gaza interviennent en tant que tuteurs. Ce fut le cas des quatre frères orphelins de la famille Akeila.

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