On peut se doter des meilleures lois au monde et prévoir les sanctions théoriquement les plus dissuasives contre les spéculateurs et les fraudeurs, si les textes ne sont pas appliqués, il ne faut pas s’attendre à des miracles sur le front des prix, une guerre qui semble perdue d’avance.
Latif Belhedi
En recevant, mardi 3 septembre 2024, au Palais de Carthage, le nouveau ministre du Commerce et du Développement des exportations, Samir Abid, Kaïs Saïed a, une nouvelle fois, «souligné l’impératif de conjuguer les efforts pour lutter contre les monopoles et les spéculateurs», lesquels, depuis le temps qu’on les combat, prennent de la vigueur et imposent leur contrôle sur le marché.
La preuve : «la hausse excessive des prix, en général, de la viande de volaille, ainsi que la viande rouge, les fruits et légumes et d’autres produits», dont a souvent parlé le chef de l’Etat et qu’il a déplorée une nouvelle fois hier.
Pour faire face à ce problème dont se plaignent sans cesse les citoyens, qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts ni à manger à leur faim, à l’exception de rares privilégiés, Saïed a préconisé, une nouvelle fois, «le droit de l’Etat de fixer le prix de nombreux produits» et son «devoir de trouver des solutions rapides à cette situation anormale» et d’appliquer la loi relative à la lutte contre la spéculation et le monopole.
Une loi, et après ?
Depuis sa promulgation à grand renfort de publicité, le décret-loi n°2022-14 du 20 mars 2022, relatif à la lutte contre la spéculation illégale, qui était censé mettre fin à ce fléau, ne semble pas avoir eu l’effet dissuasif attendu.
C’est à croire que les lourdes sanctions qu’elle prévoit contre les spéculateurs et qui vont de 10 ans d’emprisonnement et 100 000 dinars d’amende à 30 ans d’emprisonnement et 500 000 dinars d’amende, voire la réclusion criminelle à perpétuité dans certains cas graves, ne font peur à personne.
Cela pour dire qu’on peut avoir les meilleures lois au monde et prévoir les sanctions théoriquement les plus dissuasives, si les textes ne sont pas appliqués, il ne faut pas s’attendre à des miracles sur le front de la hausse des prix, une guerre qui semble perdue d’avance par l’Etat. Et ce pour diverses raisons, dont on peut citer :
– le manque de moyens, humains et techniques, dont disposent les services de contrôle économique;
– la connivence ou la complicité active de certains services (ou agents) de l’Etat avec les barons de la spéculation;
– ou, plus trivialement, le laisser-aller et la gabegie qui règnent aujourd’hui dans l’administration publique où les gens rechignent à s’engager dans un sens ou un autre au risque de se trouver cloué au pilori par la hiérarchie ou accusé de tel ou tel forfait.
La loi du marché
Cela dit, la lutte contre la hausse des prix se fait aussi en amont, grâce à une politique monétaire rigoureuse et bien pesée, qui agit sur les indicateurs macroéconomiques en maîtrisant les déficits commercial et extérieur et en évitant la flambée de l’inflation, qui sont devenus des maux chroniques en Tunisie.
Bref, on peut fixer quotidiennement les prix par décision régalienne et mettre un policier derrière chaque commerçant, on n’arrêtera pas pour autant la course folle des prix, laquelle obéit à des mécanismes de marché qui font intervenir des paramètres complexes que seule une politique économique et financière harmonieuse et équilibrée peut maîtriser. Mais quand on laisse filer les déficits et qu’on ne fait pas grand-chose pour débloquer la machine de production, grippée depuis plusieurs années (le taux de croissance a été de 0,4% en 2023 et de 0,2% au cours des 6 premiers mois de 2024), on contribue à la destruction du tissu économique formel et au développement des circuits parallèles, des réseaux de connivence, de l’économie informelle et de la contrebande. Pour maîtriser ensuite les prix, on vous souhaite bonne chance…