Israël en proie à la fuite des cerveaux

Depuis sa création en 1948, Israël et sa population sont habitués aux guerres éclaires. Aujourd’hui avec la guerre qui s’éternise à Gaza et l’entêtement du gouvernement d’extrême-droite de Benjamin Netanyahu d’y mettre fin et avec l’embrasement du front nord frontalier du Liban, de plus en plus d’Israéliens -surtout la main d’œuvre la plus qualifiée- voient désormais Israël comme un pays instable à l’avenir incertain et décident de le quitter. 

Imed Bahri

Le journal britannique The Telegraph a révélé que les faibles taux de chômage et d’endettement masquent des pressions croissantes en Israël un an après l’un des conflits les plus sanglants de son histoire notant que de nombreux travailleurs instruits et qualifiés partent et décident d’élever leurs enfants loin des dispositifs d’alerte antimissile ce qui soulève de sérieuses inquiétudes pour l’économie. 

Le journal a pris comme exemple Bjørt Kragesteen et son partenaire israélien qui ont déclaré qu’ils emballaient leurs affaires dans des cartons parce qu’ils partiraient la semaine prochaine pour Stockholm, où le chercheur en génétique moléculaire assumera le rôle de professeur adjoint.

«Je ne veux plus vivre ici. C’est quelque chose que la guerre a changé pour moi», affirme Kragesteen, 37 ans. Si une alarme de missile se déclenche, elle et son partenaire ont 90 secondes pour récupérer leur fille de deux ans et courir 150 mètres jusqu’à un abri anti-bombes près d’une aire de jeux. Elle déclare: «J’ai couru tellement de fois avec Ruth au refuge. Je suis toujours en alerte. C’est complètement épuisant.»

Construire un avenir meilleur en Europe

Cette chercheuse confirme que la peur suscitée par la guerre motive de nombreux amis à quitter Israël. «Ils ont tous de jeunes enfants et veulent construire un avenir meilleur en Europe. Certains amis n’ont pas de passeport de l’Union européenne et se sentent perdus et cherchent d’autres moyens pour partir.» 

The Telegraph a constaté que ce qui complique le problème est le fait qu’il est difficile d’attirer de nouveaux talents dans un pays en guerre et le scientifique lauréat du prix Nobel de chimie en 2004 Aaron Ciechanover a mis en garde contre une énorme vague de départs. Il a déclaré: «La plupart des médecins seniors quittent les hôpitaux et les universités ont du mal à recruter des professeurs dans des domaines importants. Cette société est très étroite et une fois que 30 000 d’entre eux partiront, nous n’aurons plus d’État ici.» 

Le départ de travailleurs talentueux est particulièrement inquiétant pour le secteur technologique qui est lucratif pour Israël, alerte Alon Eisenberg, professeur d’économie à l’Université hébraïque de Jérusalem et conseiller de la Banque d’Israël. «La fuite des cerveaux et la perte du capital humain seront inévitables», a-t-il déclaré. Et d’ajouter : «Cela s’est produit après la guerre d’octobre dans les années 1970, ce fut une expérience dévastatrice qui a eu un effet déstabilisateur sur les gens et il ne fait aucun doute que lorsqu’un pays passe par quelque chose comme ce qui est arrivé le 7 octobre 2023, certaines personnes partent, peut-être temporairement, peut-être pour toujours.»

Impact dévastateur de la guerre sur l’économie  

Le journal indique que l’économie israélienne, d’un point de vue financier, s’est contractée de 5,7% au cours des trois derniers mois de 2023 ce qui reflète l’impact de l’opération Déluge d’Al-Aqsa du Mouvement de la résistance islamique Hamas mais qu’elle s’est légèrement redressée et a connu une croissance de 3,4% lors des trois premiers mois de cette année puis un ralentissement de 0,2% au trimestre suivant.

«Certains endroits à Tel-Aviv sont fermés mais nous ne le remarquons pas beaucoup», dit Kragesteen soulignant que le shekel, la monnaie israélienne, s’est déprécie par rapport à l’euro et que les attaques des Houthis dans la mer Rouge ont perturbé les importations ce qui signifie que l’obtention de biens de consommation en provenance de l’étranger est devenu plus coûteux et plus difficile.

Une société de recherche israélienne estime que jusqu’à 60 000 le nombre d’entreprises qui pourraient fermer leurs portes en 2024 car une grande partie de la main-d’œuvre (employeurs ou employés) a été appelée en réserve parfois pendant plusieurs mois.

Le journal a rapporté les difficultés du secteur agricole après l’évacuation des populations tant au nord qu’au sud ce qui a entraîné une hausse des prix des denrées alimentaires en plus de l’augmentation des coûts de guerre ce qui a conduit le gouverneur de la Banque d’Israël à avertir que le pays dépenserait environ 67 milliards de dollars en dépenses de défense et civiles entre 2023 et 2025.

Le journal indique que tout cela se produit sans qu’aucune fin ne soit à l’horizon surtout que les craintes d’une escalade plus large augmentent après qu’Israël ait fait exploser les bipeurs utilisés par les membres du Hezbollah au Liban. Eisenberg considère que les mois à venir pourraient entraîner une nouvelle augmentation des coûts ce qui accroît l’incertitude sur l’économie.

Itay Ater de l’Université de Tel Aviv qui préside un forum réunissant d’éminents économistes israéliens se dit très préoccupé par la situation financière et par ce que pourrait signifier une nouvelle escalade d’autant plus que les trois principales agences de notation Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s, ont déjà dégradé la note d’Israël depuis le début de la guerre à Gaza.

«Ici, l’avenir semble très incertain»

Ater affirme que le gouvernement Netanyahu est complètement impuissant avertissant qu’il ne peut pas continuer à augmenter les dépenses dans cette mesure sans prendre des mesures sérieuses estimant que ce gouvernement n’est pas à la hauteur du défi qui se pose et ne prend les décisions difficiles qui s’imposent. Il ajoute qu’une escalade dans nord sera un autre coup dur porté à l’économie israélienne. 

The Telegraph conclut en affirmant que les gens sont généralement épuisés. Même les seniors se sentent incertains quant à leur avenir en Israël. Bjørt Kragesteen déclare: «La mère de mon compagnon est arrivée de Tripoli en 1967 et a vécu toutes les guerres. C’est la première fois qu’elle veut partir. Ici, l’avenir semble très incertain.»