Hassan Nasrallah, une mort prévisible, un résistant pour l’éternité

Hassan Nasrallah demeurera pour la postérité celui qui a démontré que si le colonialisme israélien sévit, ce n’est pas par sa puissance, mais par le bon vouloir des Etats-Unis et le choix des États arabes de demeurer hors du cours de l’Histoire.

Dr Mounir Hanablia

Le chef du Hezbollah libanais est mort sous les décombres du pâté d’immeubles du Sud de Beyrouth où il avait pénétré quelques secondes auparavant, frappé par une salve de missiles américains tirés par des avions américains furtifs patrouillant dans le ciel, prêts à intervenir probablement à quelques dizaines de kilomètres dès que la reconnaissance de la cible aurait été confirmée (même si ce sont les Israéliens qui se sont attribués cet acte).

Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de cet assassinat ciblé sur la guerre en cours. Cependant, il est incontestable que l’élimination du chef chiite libanais a ému tous ceux qui, de l’océan au golfe, étaient habitués à écouter ses harangues faisant appel à la piété musulmane et qui appelaient à la résistance à la domination américano-sioniste; et à la solidarité avec le peuple palestinien, victime d’une colonisation impitoyable et inhumaine. Son aura de chef charismatique se nourrissait autant de sa maîtrise du verbe que du prestige que lui avait conféré l’évacuation du Sud Liban en 2000 par l’armée de l’Etat colonial sioniste, sous les coups des forces de la résistance qu’il dirigeait, après 18 années d’occupation militaire. Il était ainsi devenu dans le monde arabe celui qui avait subi victorieusement l’épreuve du feu face à un ennemi implacable qui jusque-là n’avait jamais subi de défaite.

Résistance, bravoure et aventurisme

Cependant, en 2005 avec l’assassinat du Premier ministre Rafiq Hariri dans lequel il fut impliqué plus tard par une enquête internationale probablement dénuée d’impartialité, et le retrait des troupes syriennes, sa position intérieure commençait à se détériorer.

Néanmoins, malgré le bombardement sévère du Liban en 2006 par l’aviation israélienne durant plus d’un mois qui avait entraîné des dégâts importants, à la suite de l’enlèvement de soldats en Israël même, les combattants du Hezbollah avaient pu stopper net les chars israéliens sur la frontière et empêché une nouvelle invasion du territoire libanais.

Naturellement, dans le monde arabe, cela n’avait pas nui à son prestige, mais c’est à partir de ce moment là que dans son pays beaucoup de voix s’étaient élevées pour dénoncer son aventurisme qui avait causé une guerre et des destructions inutiles, et surtout son emprise sur l’État. Et la résolution 1701 du Conseil de Sécurité des Nations Unies venait semer les graines de futurs conflits en demandant le retrait de tous les groupes armés du sud Liban, jusqu’à la rivière Litani, le retour de l’armée libanaise, le désarmement des milices, et l’évacuation du territoire par toutes les forces étrangères.

Autrement dit, les Israéliens, quoique incapables de réaliser leurs objectifs militaires et occupant toujours les fermes libanaises de Chebaa, obtenaient grâce au soutien américain la caution internationale pour exiger le désarmement de la résistance libanaise, sinon l’exécution de cette résolution.

Escalade militaire fatale avec Israël  

La période qui suivit la guerre fut celle d’une prépondérance politique et militaire du Hezbollah sur l’État et l’appareil sécuritaire libanais, ainsi que  d’un soutien sans faille au Hamas à Gaza lors des agressions israéliennes que le Hezbollah prenait à revers par le tir de quelques roquettes en général symboliques en direction du territoire israélien.

Cette période vit aussi la détérioration profonde de l’économie libanaise que l’explosion survenue dans le port de Beyrouth ne fit que mettre encore plus en évidence. Jusqu’à ce que, à partir du 7 octobre 2023, après l’attaque massive de Gaza par l’armée israélienne, Hassan Nasrallah ne choisisse l’escalade militaire fatale avec l’Etat sioniste.

A-t-il eu raison de le faire? Indubitablement. L’attaque contre Gaza remettait en question le statu quo territorial, et l’importance des moyens militaires et financiers mis en œuvre grâce à un soutien américain sans faille rendait inévitable une attaque du Liban par l’armée israélienne afin de repousser et désarmer le Hezbollah, au nom de la fameuse résolution 1701.

Dans la perspective d’une paix avec l’Arabie Saoudite et de l’établissement d’un nouveau Moyen-Orient dont la mainmise israélienne sur la péninsule arabique depuis l’océan indien serait le socle de sa domination économique, et le territoire israélien sa fenêtre ouverte sur la Méditerranée et l’Europe, Netanyahu ne pouvait tolérer aucune menace militaire susceptible de décourager les investisseurs internationaux. Et Hassan Nasrallah fut donc bien inspiré de prendre les devants; dans les faits cela lui valut une année de répit.

C’est ici que la question de ses relations avec l’Iran devient cruciale. Le Hezbollah fut fondé après l’invasion israélienne du Liban de 1982 avec l’aide des Gardiens de la révolution iraniens, afin de combattre l’occupation israélienne. Ses attaques contre le QG des Marines de Beyrouth qui fit près de 250 morts, contre celui des soldats français, ainsi que celui de l’armée israélienne à Tyr, plus tard suivies par des prises d’otage dont de nombreux Occidentaux firent les frais, tels que William Buckley, le chef de la CIA à Beyrouth, lui valurent naturellement d’être considéré par les Américains et les Israéliens, toujours enclins à diaboliser ceux qui les combattent, comme un mouvement terroriste.

La collaboration avec les Syriens durant leurs années libanaises permit à Nasrallah la constitution d’un arsenal imposant financé et fourni par l’Iran, composé à ce qu’on dit de plusieurs milliers de missiles balistiques dont quelques-uns lourds susceptibles de causer des dégâts considérables.

Le jeu ambigu de l’Iran

Il est encore trop tôt pour savoir pourquoi Hassan Nasrallah choisit de ne pas utiliser cet arsenal, et qu’il ne visa même pas les champs gaziers israéliens au large de la Méditerranée. Si c’est parce qu’étant isolé dans son pays, il voulait épargner au Liban une riposte dévastatrice, ou bien parce que l’Iran désirait éviter une guerre ouverte avec le couple américano-israélien, le résultat fut le même. Le Hezbollah donna à ses ennemis l’occasion de préparer une attaque de grande ampleur par le biais des «pager» piégés, qui révéla le caractère dérisoire de sa sécurité interne en totale opposition avec l’importance de son arsenal, que l’assassinat ciblé de ses militants ne fit que confirmer.

Ali Khamenei, le chef suprême de l’Iran, aux côtés du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et du commandant de la Force Qods du Corps des Gardiens de la révolution islamique Qassem Soleimani, le 25 septembre 2019.

La destruction des villes libanaises que Nasrallah pensait probablement éviter en épargnant les civils ennemis n’a pas été empêchée pour autant, pas plus que le cessez-le-feu à Gaza n’ait été obtenu. Il est vrai que mis à part les otages dont il se souciait peu, Netanyahu n’avait rien à gagner d’une négociation, ayant déjà obtenu la reconnaissance de son pays par les États arabes. Et l’attaque du territoire israélien par quelques missiles en provenance du Yémen ou de l’Irak, n’a pas modifié la donne.

Dans tout cela, seul le territoire iranien a été pour le moment épargné, bien que la mort de l’ancien président iranien demeure nimbée de mystère.

Dans ces conditions, on ne peut pas ignorer les critiques de tous ceux qui, quelles qu’en soient les raisons, considèrent que le Hezbollah a entraîné son pays dans une coûteuse aventure militaire dont l’Iran est l’instigateur et dont le Liban ne peut rien retirer.

On espère que l’organisation qui continue de combattre malgré la mort de ses chefs disposera de la force nécessaire pour s’opposer à l’invasion et à l’occupation de son pays ainsi qu’elle l’avait fait en 2006.

En dépit de tout cela, le chef du Hezbollah libanais demeurera pour la postérité celui qui a démontré que si le colonialisme israélien sévit, ce n’est pas par sa puissance, mais par le choix des États arabes de demeurer hors du cours de l’Histoire.

* Médecin de libre pratique.