Le Hezbollah, entre la réplique à Israël et la préservation du Liban

Samedi 6 janvier 2024, 8h10 du matin heure libanaise (6h10 GMT), 62 missiles de différents types et drones ont ciblé la base de Meron dédié au renseignement militaire dans le nord d’Israël. C’est le premier acte de la réplique du Hezbollah à l’assassinat du dirigeant du Hamas Salah Arouri, mardi 2 janvier, dans le fief du parti chiite libanais dans la banlieue sud de Beyrouth. Il intervient moins de 24 heures après l’allocution de Hassan Nasrallah, sa deuxième en moins d’une semaine. Comment et jusqu’où le Hezbollah peut-il aller dans sa réplique? Décryptage…

Par Imed Bahri     

«La violation survenue dans la banlieue sud de Beyrouth ne peut rester impunie et sans réponse. La décision appartient au terrain», a martelé le secrétaire général du mouvement chiite libanais lors de l’allocution prononcée à l’occasion d’une cérémonie à la mémoire de Mohamed Yaghi, ancien responsable du parti dans la plaine de la Bekaa, décédé il y a une semaine, qui fut également député et président du conseil exécutif du parti dans les années 1990, poste occupé actuellement par Hachem Safieddine. 

«Nous ne pouvons pas accepter cela. La violation est grande et dangereuse. Cheikh Saleh (Saleh Arouri, Ndlr) était un grand leader, un grand ami qui m’est cher et un frère. La réplique viendra inévitablement. On ne pas se taire face à une violation aussi dangereuse parce que cela veut dire que tout le Liban sera à la portée, toutes les villes, tous les villages et toutes les personnalités seront exposés et à la portée. Le poids du danger, de la menace et des inconvénients engendrés par le silence face à cette violation est plus dangereux que toute conséquence d’une réplique à l’agression», a expliqué Nasrallah. 

Il rappelle que «l’un des résultats de la bataille dans le sud (dans la zone frontalière avec Israël dans le sud du Liban, Ndlr) est d’ancrer les équilibres de la dissuasion. Par le passé, lorsqu’une opération était menée, le sud du Liban était détruit». Avant de poursuivre: «Nous sommes là face à une opportunité historique de libérer pleinement chaque centimètre carré de notre territoire et d’établir une équation qui empêche l’ennemi de transgresser notre souveraineté et cette opportunité a lieu grâce au font libanais.» 

Une stratégie d’usure

Le chef chiite est revenu sur la stratégie des combats menés sur ce front depuis trois mois : il a été ouvert le 8 octobre 2023, le lendemain de l’opération Déluge d’Al-Aqsa. L’objectif pour le Hezbollah est clair: «Faire pression sur l’ennemi et l’épuiser afin de mettre fin à l’agression contre Gaza et faire baisser la pression sur ce front.» Il s’agit de disperser ainsi l’ennemi israélien pour qu’il ne se focalise pas uniquement sur Gaza. Une stratégie d’usure et de dispersion plutôt qu’une guerre frontale qui mettrait en péril l’ensemble du Liban. Et M. Nasrallah de défendre l’efficacité de cette stratégie: «Depuis le 8 octobre, nous avons débuté notre combat contre l’ennemi et pendant cette période, un grand nombre de colonies israéliennes ont été ciblées. La résistance a mené environ 670 opérations militaires, 48 ​​sites, 11 sites en arrière-plan, 50 points frontaliers et 17 colonies ont été ciblés. Les équipements techniques ciblés sont estimés à des centaines de millions de dollars. Également, un grand nombre de chars a été détruit sauf que les Israéliens appliquent l’omerta et ne reconnaissent ni morts ni blessés.»

Il faut aussi signaler que les habitants des colonies du nord d’Israël ont été évacués et relogés dans des hôtels des alentours de Jérusalem. De ce fait, le front libanais affecte Israël aussi bien militairement que démographiquement et économiquement. L’expression qui revient souvent dans la bouche des responsables et des sympathisants du Hezbollah dans les médias est «l’épuisement de l’ennemi»

Nasrallah s’adresse d’ailleurs aux colons du nord d’Israël: «Je dis aux colons qui hurlent chaque jour, qui ont peur et qui exigent que leur gouvernement soit militairement ferme avec le Liban: c’est un mauvais choix pour vous et votre gouvernement et le premier qui en paiera le prix ça sera vous et les colonies du nord. Vous devez plutôt exiger de votre gouvernement de mette fin à sa guerre contre Gaza.»

Moins de 24 heures après cette allocution de Nasrallah, qui a expliqué la stratégie du parti depuis l’ouverture du front libanais et qui a donné le ton concernant la réplique à l’assassinat d’Arouri, la réplique a commencé. 

Le Hezbollah a annoncé samedi matin: «À 8h10 du matin, les combattants de la résistance islamique ont ciblé la base de contrôle aérien de Meron avec 62 missiles de différents types et drones et ce, dans le cadre de la première réponse aux assassinats du grand leader Cheikh Saleh Arouri et de ses compagnons martyrs dans la banlieue sud de Beyrouth». Et le communiqué explique que «la base de contrôle aérien de Meron est située au sommet du mont Jarmaq qui est le plus haut sommet de la Palestine occupée. La base de Meron est le seul centre de surveillance et de contrôle aérien dans le nord de l’entité usurpatrice et n’a pas d’alternative dans cette zone. C’est l’une des deux principales bases de ce type de l’entité usurpatrice, la seconde celle de Mitzpe Ramon se trouve dans le sud» (dans le désert du Néguev central à environ 85 km au sud de Beer-Sheva, Ndlr).

La partie israélienne a rapporté via ses médias que des drones et des missiles lancés depuis le Liban avaient visé un site des renseignements de l’armée israélienne à Meron en Haute Galilée. Il convient de préciser que cette base ne concerne pas uniquement le Liban mais également la Syrie, la Turquie et Chypre.

C’est la cible la plus importante par son envergure visée par le Hezbollah en Israël depuis le 8 octobre, cependant le parti libanais ne se départit pas de sa stratégie à savoir pas de guerre frontale et pas de cibles parmi les civils. Par contre, les Israéliens n’ont pas arrêté les provocations en tuant des civils libanais dans des villages, des maisons et des voitures dans le sud du Liban, mais aussi des journalistes, des reporters et des cameramen d’Al-Jazeera et d’Al-Mayadeen.

Les Israéliens ont également exigé que les forces Al-Radhwan du Hezbollah se retirent derrière la rivière Litani et ont fait parvenir ce message à la partie libanaise via Bernard Emié dans l’une de ses dernières missions en tant que directeur général de la DGSE (les services de renseignements extérieurs français) avant son remplacement à la tête de ce service.

Affrontements limités

Ceci traduit la crainte israélienne des forces spéciales du Hezbollah qui ont été rebaptisées en 2008 forces Al-Radhwan en hommage à Imad Fayez Moughniyah alias el Hajj Radhwan qui les a restructurées et qui a été un personnage central de l’appareil militaire du Hezbollah jusqu’à son assassinat par le Mossad à Kafr Souseh près Damas le 12 février 2008.

Par conséquent et en dépit de toutes les provocations israéliennes, le Hezbollah demeure attaché à sa stratégie d’affrontements limités aux zones frontalières et d’éviter la guerre frontale et à grande envergure non pas par peur d’Israël mais pour deux raisons.

La première raison, et la principale, est interne en l’occurrence la situation très critique au Liban à cause de la crise économique sans précédent qui frappe le pays depuis des années et qui ne cesse de s’aggraver. Une crise multiforme et interminable qui se traduit essentiellement par une hyperinflation, par l’absence de l’électricité étant donné que l’État en faillite est incapable d’acheter du fioul nécessaire à la production de l’électricité et par l’absence des médicaments y compris pour les maladies chroniques dont les plus graves. Cette situation fait que les Libanais dans leur écrasante majorité et pas seulement les opposants au Hezbollah mais même ses sympathisants parmi la population chiite et ses alliés dans les autres communautés sont opposés à une guerre frontale.

La seconde raison est d’ordre externe et stratégique. Le Hezbollah sait parfaitement que Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense Yoav Gallant souhaitent une guerre avec le Liban et un embrasement de la région pour se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible et échapper à la reddition des comptes suite à la débâcle subie le 7 octobre dernier avec l’opération Déluge d’Al-Aqsa et évidement le parti libanais n’entend pas donner aux Israéliens l’opportunité qu’ils recherchent.

De plus, entrer dans guerre voulue par Israël et dans le timing qu’il décide serait une gaffe monumentale. Dans les guerres, c’est celui qui fait subir qui gagne et non pas celui qui subit. C’est celui qui prend de court l’autre partie qui gagne. De ce fait, le Hezbollah n’est pas favorable à une guerre frontale contre Israël; cependant si Israël déclare une guerre ce type au Liban, Hassan Nasrallah a déclaré que, dans ce cas, le Hezbollah ne se fixera aucune limite.

Pour le moment, le parti libanais demeure attaché à l’équation entre la réplique à Israël et la préservation du Liban. Une équation qui fait que la résistance libanaise et son chef sont dans un jeu permanent d’équilibriste qui les éloigne de toute impulsivité mais qui les maintient sur leurs gardes en se tenant prêts pour toute éventualité.

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