Le génocide éducatif, l’autre tragédie de Gaza

Le génocide et les crimes de guerre perpétrés par Israël dans la bande de Gaza durent depuis plus d’une année mais ce génocide en cache un autre que les experts appellent «le génocide éducatif» dont sont victimes les enfants de Gaza. Jadis élèves comme tous les enfants de la planète, ils se retrouvent déscolarisés et même contraints de travailler pour survivre et aider leurs familles. Dans ce chaos, certaines initiatives courageuses émergent mais elles restent dérisoires. 

Imed Bahri

Le média israélien +972 Magazine fondé par des journalistes de gauche opposés à la colonisation a publié une enquête consacrée aux répercussions de la guerre sur l’éducation dans la bande de Gaza où ni les écoles ni les universités n’ont été épargnées par la machine de destruction israélienne. 

Bien que près de deux mois se soient écoulés depuis ce qui devait être la rentrée scolaire, le cœur des jeunes élèves est rempli d’une amère tristesse non seulement à cause du martyre des membres de leur famille et de leurs amis, de la destruction de leurs maisons mais aussi à cause de la perte de leur droit à l’éducation. 

Dans l’enquête, les journalistes Ruwaida Kamal Amer et Ibtisam Mahdi de Gaza ont mené des entretiens avec un certain nombre d’étudiants, d’enseignants et de responsables du département de l’éducation de la bande de Gaza qui ont parlé de leur sentiment de perte et de leur peur de l’avenir.

«J’ai perdu mon enfance dans cette guerre», dit Salma

Salma Wafi, 14 ans, aujourd’hui déplacée dans la région d’Al-Mawasi et qui attend la fin de la guerre pour pouvoir retourner dans son lycée, déclare: «L’école était la plus belle chose de ma vie, et ça me manque tous les jours.» Elle ajoute avec un regret évident: «Partout ailleurs dans le monde, les enfants sont retournés dans leurs écoles mais certains de mes professeurs, amis et collègues que je voyais tout le temps à l’école sont morts. J’ai perdu mon enfance dans cette guerre.» 

Ph. Amani Abu Raya (Courtesy).

Pour Farah Miqdad, 11 ans, perdre une année entière d’école a eu un impact profond sur sa vie sociale déclare: «Mon école était dans la rue Al-Jalaa dans la ville de Gaza, et j’y allais tous les jours avec mes amis. Après la fin de la journée scolaire, nous allions chez l’un de nous pour étudier en vue des examens.» 

Farah a perdu son frère aîné Walid en mars à Rafah. Elle et sa famille ont été déplacées à plusieurs reprises depuis le début de la guerre. Elle se réfugie désormais dans la région d’Al-Mawasi, elle explique que «l’école n’était pas seulement des cours scolaires mais une vie complètement différente.» Elle ajoute: «Maintenant, tout cela appartient au passé. Nous vivons aujourd’hui dans des conditions très difficiles car nous ne pouvons pas acheter de nourriture donc je dois travailler pour survivre et aider ma famille.»

87% des écoles à Gaza sont détruits

+972 qui est un journal indépendant de gauche fondé par quatre écrivains israéliens et comprenant un groupe de journalistes israéliens et palestiniens cite un rapport des Nations Unies affirmant que 87% des bâtiments scolaires à Gaza ont été partiellement ou complètement détruits en raison des raids israéliens et certains d’entre eux ont été transformés en bases militaires israéliennes.

Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires indique que plus de 10 600 enfants et plus de 400 enseignants ont été tués lors des opérations militaires israéliennes tandis que plus de 15 300 élèves et 2 400 enseignants ont été blessés.

Aujourd’hui, plus de 625 000 enfants en âge d’être scolarisés à Gaza souffrent d’un traumatisme profond dû à la privation de leur droit à l’éducation que 19 experts indépendants et rapporteurs des Nations Unies ont qualifié de «génocide éducatif» à savoir une tentative délibérée de détruire le système éducatif palestinien. 

Parallèlement, un nouveau rapport de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) prévient que les frappes aériennes continues d’Israël et l’invasion terrestre de Gaza pourraient faire reculer l’éducation des enfants et des jeunes jusqu’à 5 ans.

Le média cite Ahmed Ayesh Al-Najjar, directeur des relations publiques au ministère de l’Éducation à Gaza, qui a déclaré que la destruction généralisée et systématique des infrastructures éducatives et le meurtre de milliers d’élèves, d’enseignants et de personnel éducatif ont rendu presque impossible pour le ministère la reprise du système éducatif dans son état antérieur.

Plateforme électronique pour dispenser des cours à distance

Pour tenter de remédier à ce problème, le ministère de l’Éducation de Ramallah a lancé une plateforme électronique pour dispenser des cours à distance aux élèves de Gaza. Son porte-parole, Sadiq Khadour, a déclaré à +972 qu’environ 200 000 élèves, filles et garçons, se sont inscrits à des cours en ligne, ajoutant: «Nous considérons cela comme une réussite majeure car l’année dernière il n’y a eu aucun enseignement.»

Toutefois, les deux journalistes palestiniens indiquent qu’on ne sait pas combien d’élèves ont pu profiter de ces cours étant donné les fréquentes coupures d’Internet et d’électricité dans toute la bande de Gaza.

Pour Maram Al-Farra, mère de quatre enfants, l’idée de cours à distance comme alternative à l’enseignement en présentiel est impensable. Elle a déclaré: «J’ai l’impression que les responsables du ministère pensent que cette guerre est simple ou semblable aux guerres précédentes. Nous avons perdu nos maisons et vivons sous une tente à Al-Mawasi. Utiliser Internet dans ces circonstances est impossible.» 

Soha Al-Abdullah, mère et enseignante, doute également de la faisabilité de cette nouvelle initiative. Elle a expliqué: «Je ne peux pas suivre ces cours, pas même mes enfants, car nous avons besoin d’Internet et de plus d’un téléphone pour l’utiliser.» Elle a poursuivi: «Ce sont des choses non seulement difficiles mais impossibles! En tant qu’enseignante, je ne peux fournir des informations complètes et utiles à mes élèves que dans une vraie classe.»

Le ministère étant incapable de mettre en œuvre un plan efficace pour l’année scolaire, les enseignants de Gaza ont dû essayer d’organiser par eux-mêmes leurs propres programmes éducatifs et certains ont pris à l’initiative d’ouvrir des écoles temporaires dans des abris et des camps à travers la bande de Gaza. Parmi eux se trouve une professeure d’anglais nommée Doaa Qadeeh qui donne des cours quotidiens à ses élèves assis par terre. Elle leur a demandé quels seraient leurs souhaits quand ils seraient grands. Une jeune élève lui avait dit qu’elle voulait devenir médecin pour aider son frère et sa mère blessés et une autre rêvait de devenir ingénieur ou journaliste. «Chacun de mes élèves a un grand rêve lorsque la guerre cessera», a-t-elle dit.

Salles de classe aménagées avec des morceaux de tissu

Qadeeh a également expliqué: «En tant qu’enseignante, j’ai réalisé le danger d’interrompre l’éducation pendant plus de 8 mois et l’importance de poursuivre le processus éducatif. Nos élèves sont la génération future et la reconstruction de Gaza ne se fera que par la connaissance et l’apprentissage.»

Un autre enseignant, Muhammad Al-Khudari, a commencé à proposer des cours d’arabe à ses trois enfants chez lui. Son initiative a ensuite attiré 60 élèves à Deir Al-Balah, il enseigne en utilisant des marionnettes et des illustrations colorées.

L’un des programmes éducatifs les plus marquants est présenté par Laila Wafi, 42 ans, une enseignante aveugle d’Al-Mawasi, titulaire d’un doctorat en sciences de l’éducation.

Wafi a créé l’école Al-Awael sur un terrain sablonneux à Al-Mawasi composée de 3 salles de classe aménagées avec des morceaux de tissu et de plastique et fonctionnant en trois périodes par jour, une le matin et deux l’après-midi. L’école accueille désormais environ 74 élèves et 80 enseignants bénévoles enseignent à tour de rôle tout le programme de l’école primaire, de la première à la sixième année.

«J’ai remarqué l’effet de la guerre sur les capacités des élèves et comment ils oubliaient les bases de leurs matières scolaires», raconte Wafi, soulignant qu’il y a 500 autres élèves sur la liste d’attente qui souhaitent rejoindre son école.

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