Des Abruzzes à Sejnane : la sculpture émotionnelle de Lucia Cantò

La tradition artisanale dans la création d’objets et le savoir-faire transmis notamment par les femmes des communautés locales. Tels sont les points communs entre les Abruzzes de l’artiste de Pescara, Lucia Cantò, et la Tunisie des femmes potières de Sejnane, connues dans le monde entier pour leurs objets en terre cuite.

De ce projet intitulé «Feeling the grass grow» («Sentir l’herbe pousser»), expression typique de la région des Abruzzes en Italie, utilisée par la famille de l’artiste pour indiquer une sensibilité particulière dans la lecture et la perception de transformations souvent invisibles aux yeux de la plupart des gens, comme la croissance de l’herbe, Cantò elle-même nous parlera, en conversation avec les commissaires Giovanni Giacomo Paolin et Sara Maggioni, à La Boîte – Centre d’Art & Architecture, aujourd’hui, mercredi 13 novembre 2024, à partir de 17h30, dans une conférence parrainée par l’Institut Culturel Italien de Tunis. La conversation se déroulera en italien et sera traduite simultanément en français.

La sensibilité à observer et à considérer des processus si lents qu’ils semblent imperceptibles s’exprime dans une phrase qui, transmise par l’arrière-grand-mère de Cantò, s’est transmise de génération en génération parmi les femmes de la famille.

Cela fait référence à la fois à des actions de transformation lentes et routinières, comme la croissance des petits-enfants observée au quotidien, et à des changements encore imperceptibles mais déjà intuitifs.

L’un des principaux thèmes de recherche de l’artiste concerne la transformation qui s’opère dans les corps à travers les relations et les échanges invisibles ou intangibles entre les individus. La transmission d’une tradition, d’un savoir, d’idiomes familiaux, sont les fils invisibles qui unissent les différents individus d’une communauté et, dans la pratique de Lucia Cantò, ils inspirent le besoin de les rendre tangibles.

Pour ce faire, explique le commissaire Giovanni Giacomo Paolin, l’artiste adopte la forme de vases en terre cuite, analysant leur ressemblance avec le corps humain. Des corps ouverts à la mutation, capables d’absorber et de transformer leur contenu interne, malléable mais fragile.

Par ailleurs, le processus de création de céramiques est historiquement lié à la création de communautés, souvent féminines, qui permettent de favoriser les échanges et la transmission orale des savoirs traditionnels.

Ces dernières années, l’artiste a de plus en plus ouvert son travail à un espace collectif, créant des espaces communautaires temporaires. Ce projet représente l’évolution d’un processus qui a déjà émergé à travers trois expositions. La première à la Monitor Gallery de Rome, Ai Terzi (2021), a été la première occasion pour l’artiste de matérialiser ses idées sur l’utilisation du vase comme outil relationnel avec les proches, notamment dans l’œuvre intitulée ‘‘Certains actes pour corps fragiles’’ (2021).

Dans ‘‘Restriction émotionnelle’’ (2022) – un projet réalisé dans le cadre d’Una Boccata d’Arte à Malamocco (organisé par la Fondation Elpis) et ‘‘Stars that support other stars’’ (2023), cette relation a été respectivement explorée et élargie à une classe pour enfants et un groupe de personnes sélectionnées qui ont participé à une expérience d’atelier avec l’artiste et les conservateurs.

‘‘Sentir l’herbe pousser’’ aura pour premier arrêt la Tunisie et en particulier la communauté de Sejnane (Bizerte), où sont produits des objets en terre cuite pour la maison tels que des ustensiles de cuisine, des poupées et des figurines d’animaux, inspirés de l’environnement.

Toutes les phases du processus de fabrication de la céramique sont réalisées par des femmes, qui occupent une place importante dans la communauté. Transmettre leur savoir à travers l’éducation traditionnelle et informelle de mère en fille.

L’argile est généralement extraite des plates-bandes, découpée en blocs, broyée, purifiée et immergée dans l’eau, avant d’être pétrie et façonnée. Une fois cuits, les récipients sont décorés de motifs géométriques bicolores rappelant les tatouages ​​et tissages traditionnels berbères.

Cette tradition artisanale, comme celle de Lucia Cantò, souligne le rôle fondamental des femmes dans la transmission des connaissances et dans la création d’objets qui reflètent la culture et l’histoire d’une communauté.

Dans sa sculpture émotionnelle, Cantò condense les expériences quotidiennes et les relations humaines en objets chargés d’une puissante valeur symbolique. La tangibilité des différentes matières traitées par l’artiste répond au besoin d’appréhender une réalité émotionnelle qui tend à rester évanescente.

Traduit de l’italien.

D’après Ansamed.

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