L’émigration clandestine prend de nouvelles formes, souvent dissimulées sous le voile de promesses d’embauches légales. Cet article reprend le récit poignant d’un ouvrier tunisien, victime d’un réseau organisé, où exploitation, intimidations, et abus sont le quotidien. Son histoire illustre la dure réalité à laquelle font face de nombreux migrants en quête d’une vie meilleure.
Malek Mizouri *
Tout commence en Tunisie lorsqu’un chef de chantier, connu sous le pseudonyme Momo, représentant la société Ecotec, propose à un jeune homme une promesse d’embauche en Italie. La procédure semble claire : un acompte de 10 000 dinars (TND) à remettre à un intermédiaire, Hatem (recherché par les autorités tunisiennes), pour obtenir une promesse d’embauche. Après acceptation, Momo exige un second versement de 5 000 TND pour finaliser la démarche.
Le futur migrant, sans autre choix, s’acquitte des sommes demandées et reçoit un visa de travail portant la mention «Lavoro Subordinato». Il prend ensuite un vol pour Milan Malpensa, le 28 septembre 2024, avant de rejoindre Bologne pour déposer une demande de séjour.
Logements insalubres et exploitation
À son arrivée à Pescara, où se trouve Momo, la réalité s’avère bien différente des promesses initiales. Logé avec cinq autres travailleurs dans un appartement exigu (une chambre et un séjour), sans contrat de location officiel, il découvre que tout l’immeuble est occupé par des migrants dans les mêmes conditions précaires.
Momo fournit à ses travailleurs des codes fiscaux falsifiés, générés via une application en ligne. Aucun contrat de travail n’est délivré, et les ouvriers, au moment d’arriver sur le chantier, reçoivent des consignes sans équipement de sécurité, ni tenue adaptée.
Police, menaces et intimidations
Le 28 octobre 2024, les Carabinieri, accompagnés de traducteurs, effectuent un contrôle dans le chantier où travaille notre témoin. Les autorités interrogent les travailleurs sur leur arrivée en Italie, le montant payé, et les intermédiaires impliqués. Momo est emmené pour être interrogé à la gendarmerie.
Lors de cette intervention, un homme identifié comme Vincenzo est aperçu sur place, suggérant l’existence d’un réseau plus large impliquant des Italiens et des Tunisiens. Après cette opération, les travailleurs sont relâchés, mais leur sort reste incertain.
Face aux révélations des travailleurs lors du contrôle, Momo intensifie ses intimidations. Trois hommes se rendent au domicile de notre témoin, le menaçant de représailles s’il continue de parler ou d’exiger un remboursement des sommes qu’ils leur avaient versées.
Bien que muni d’un certificat médical après une hospitalisation, ce dernier n’a pas pu porter plainte, constamment surveillé et soumis à des pressions.
Un système organisé d’esclavage moderne
Momo, qui semble intouchable, contrôle entièrement ses ouvriers : il les menace pour les maintenir dans la peur, organise leurs logements de manière à pouvoir les surveiller et leur fournit des faux documents pour leur permettre de travailler illégalement. Cependant, les salaires promis restent souvent impayés : plusieurs ouvriers affirment travailler depuis des mois sans percevoir leur rémunération.
Après un mois de menaces et d’abus, notre témoin quitte Pescara pour une autre région d’Italie, dans l’espoir de trouver une situation plus stable. Il perd contact avec les autres victimes et se retrouve sans papiers ni emploi. Lors d’une tentative de recours auprès d’une association venue lors du contrôle des Carabinieri, il se heurte à une absence de réponses claires de la part de celle-ci.
Ce témoignage met en lumière un système bien rodé d’exploitation des travailleurs tunisiens en Italie, orchestré par des réseaux transnationaux. Les victimes, souvent isolées, se retrouvent sans aide légale et exposées à des menaces constantes.
Il est impératif que les autorités tunisiennes et italiennes prennent des mesures concrètes pour démanteler ces réseaux et offrir une protection effective à ces travailleurs. Les récits comme celui-ci doivent pousser à une prise de conscience collective pour mettre fin à ces pratiques.
* Project engineer.
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