Les voix aux oubliées des enfants algériens immigrés en France  

L’histoire de l’immigration algérienne en France a souvent été racontée à travers le prisme du travail, des bidonvilles ou des luttes politiques. Pourtant, un aspect reste largement occulté : celui des enfants et adolescents venus seuls en Métropole entre 1945 et 1963. Dans ‘‘Nous sommes venus en France’’, l’historien Mathias Gardet dévoile un corpus inédit, issu des archives de la justice des mineurs, qui met en lumière les trajectoires de ces jeunes et leur confrontation avec une institution imprégnée des logiques coloniales.

Djamal Guettala

Les dossiers retrouvés à la Ferme de Champagne (Savigny-sur-Orge) pour les garçons et à Chevilly-Larue pour les filles témoignent d’une jeunesse en quête d’un avenir meilleur. Certains rejoignent un proche, d’autres cherchent du travail ou fuient des conditions de vie difficiles en Algérie. Pourtant, leur arrivée en France les place rapidement sous la surveillance de l’État. Arrêtés pour vagabondage ou de petits délits, ils sont placés dans des centres d’observation où leurs aspirations se heurtent à un cadre institutionnel paternaliste et répressif.

Des adolescents face à l’ordre colonial

Ce qui frappe dans ces archives, c’est le contraste entre la parole spontanée des jeunes – qui parlent de cinéma, de bals, d’amitiés et d’amours – et celle des institutions judiciaires, policières et psychiatriques, marquée par des jugements biaisés et une lecture racialisée de leurs comportements. La comparaison avec le film ‘‘Les 400 coups’’ de François Truffaut prend alors tout son sens : ces adolescents ne sont pas seulement perçus comme déviants, mais comme des sujets coloniaux à surveiller et à redresser.

En choisissant une écriture polyphonique, Mathias Gardet donne corps à ces itinéraires singuliers, tout en les inscrivant dans une histoire collective. À travers les récits de traversées maritimes, les espoirs et les désillusions de la vie en Métropole, il restitue avec sensibilité un pan méconnu de l’histoire coloniale française. Plus qu’une simple étude historique, Nous sommes venus en France est un hommage à ces voix longtemps réduites au silence.

Nouvel apport à l’histoire de l’immigration

‘‘Nous sommes venus en France’’ apporte une contribution précieuse à l’histoire et à la littérature de l’immigration en plusieurs points.

D’abord, il donne une perspective inédite sur la jeunesse immigrée, souvent négligée dans les récits traditionnels. Alors que l’accent est fréquemment mis sur les travailleurs adultes, Gardet explore les parcours des jeunes algériens, souvent isolés et confrontés à des institutions répressives.

Ensuite, le livre critique ouvertement le racisme institutionnel qui imprègne les structures judiciaires et sociales de l’époque. Il dévoile comment les comportements des jeunes algériens sont interprétés à travers un prisme colonial, marquant une continuité entre l’Algérie coloniale et la France métropolitaine.

Enfin, en restituant les voix de ces jeunes à travers un récit choral, Gardet réinscrit leurs expériences dans l’histoire collective de l’immigration, tout en enrichissant la littérature migrante contemporaine d’une dimension émotive et universelle. L’ouvrage met en lumière des thèmes de l’émancipation, de la construction de soi et de la résilience face à des oppressions structurelles, résonnant avec d’autres récits de jeunesse dans des contextes similaires.

Pourquoi se concentrer sur les jeunes Algériens ?

Le choix de se concentrer sur les jeunes Algériens et d’exclure les jeunes Tunisiens et Marocains dans ‘‘Nous sommes venus en France’’ s’explique par plusieurs facteurs historiques et contextuels.

Tout d’abord, l’Algérie étant une colonie française à part entière, elle a connu des dynamiques spécifiques avec la métropole, en particulier à la fin de la Seconde Guerre mondiale et pendant la guerre d’indépendance. Les jeunes Algériens qui arrivaient en France se retrouvaient souvent dans des situations particulièrement marquées par la guerre coloniale et la répression, ce qui explique pourquoi leurs parcours ont été plus systématiquement documentés dans les archives de la justice des mineurs.

En revanche, les jeunes Tunisiens et Marocains étaient sous des régimes de protectorat moins directs, et leurs trajectoires migratoires étaient souvent moins associées à des situations de rupture brutale ou de délinquance, bien qu’elles aient aussi existé. Leur prise en charge par les institutions françaises était donc différente, ce qui explique pourquoi les archives de la justice des mineurs ne les couvrent pas de la même manière.

Enfin, ce choix méthodologique permet à Gardet de se concentrer sur un aspect particulier de l’immigration algérienne, bien que les situations des jeunes Tunisiens et Marocains méritent également d’être explorées dans d’autres études.

Mathias Gardet est historien, chercheur à l’Institut d’histoire du temps présent et spécialiste de l’histoire de la justice des mineurs et de l’éducation spécialisée. Il est également responsable du centre d’exposition historique et du portail de ressources numériques Enfants en Justice XIXe-XXe siècles.

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