Tunisie : Kaïs Saïed dans le costume du libérateur national (vidéo)

Le suspense était mince, car tout semblait en place pour lui permettre de briguer un second mandat présidentiel sans risque de surprise : Kaïs Saïed a enfin annoncé officiellement sa candidature à la présidentielle du 6 octobre 2024. Et il l’a fait de manière solennelle, théâtrale dirait l’autre, et avec le chouia d’émotion qui va avec. Vidéo.

Ridha Kefi

«Si j’avais le choix, je n’aurais pas choisi, mais lorsque le devoir national vous appelle, il n’y a pas de place pour l’hésitation. J’annonce ma candidature à la présidentielle pour poursuivre sur la voie de la lutte pour la libération nationale», a-t-il déclaré dans une vidéo publiée sur la page de la présidence, vendredi 20 juillet 2024.

L’homme féru d’histoire et qui affectionne les symboles a choisi de faire l’annonce de sa candidature à 700 km de la Carthage, à Borj El-Khadra plus précisément, le point le plus méridional de la Tunisie, en plein désert, comme pour signifier sa détermination à servir la Tunisie profonde, celle des périphéries longtemps oubliées par les planificateurs de Tunis.

Libérer le peuple

Le choix du lieu de l’annonce est également significatif de la posture que veut se donner le président sortant, celle d’un libérateur : Borj El-Khadra, appelé Fort Saint sous l’occupation française, non loin de Borj Le Bœuf, le lieu de détention qui a vu défiler les dirigeants du mouvement de libération nationale, Habib Bourguiba en tête. Une manière pour Saïed de s’identifier à ces illustres combattants et de revendiquer leur héritage, d’autant qu’il se donne pour mission de «libérer le peuple», une seconde fois. Le libérer de quoi, le pays étant indépendant depuis le 20 mars 1956? Le libérer de qui? La réponse coule de source pour qui prête souvent l’oreille aux discours du candidat à sa propre succession : des lobbys d’intérêt qui campent au cœur de l’Etat qu’il ne cesse de stigmatiser, des élites forcément corrompues qui accaparent les richesses nationales, des comploteurs vendus à l’étranger…

Saïed a d’ailleurs déclaré qu’il a choisi Borj El-Khadra pour annoncer sa candidature, parce que c’est un lieu emblématique de lutte, et pour confirmer que la Tunisie est un Etat unifié, au cas où on aurait douté de son unité, en appelant à faire preuve de vigilance face aux intrusions et se méfier des fallacieux, ajoutant : «Certains ont laissé tomber les masques et d’autres les laisseront tomber dans les prochains jours», dans une limpide allusion à ses opposants, dont beaucoup croupissent en prison, poursuivis dans des procès qui risquent de s’éterniser dans les méandres d’une justice qui n’a jamais autant été sollicitée qu’elle l’est aujourd’hui pour faire le ménage républicain.

L’héritage des Destouriens

A Borj El-Khadra, Kaïs Saïed envoie aussi un message de fermeté à sa plus redoutable adversaire politique, Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL), candidate autoproclamée à la présidentielle du 6 octobre prochain, incarcérée depuis le 4 octobre 2023 et poursuivie dans plusieurs procès intentés contre elle notamment par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), une manière pour le président de la république de lui disputer l’héritage bourguibien et destourien dont elle s’est toujours réclamée. C’est un pied de nez à Moussi et un appel du pied aux Destouriens dont certains, qui ont toujours rêvé d’un homme fort à la tête de l’Etat, ont déjà rejoint son projet politique, même si, sur le plan idéologique, le conservatisme arabo-islamique de Saïed tranche clairement avec le libéralisme laïcards des Destouriens et des Bourguibiens pur jus.   

Avec le faste qui l’a accompagnée, l’annonce de candidature de Saïed à un second mandat constitue un moment clé du processus de mise en œuvre de son projet politique et un camouflet pour ses opposants dont certains ont déploré hier, sur les réseaux sociaux, l’utilisation des moyens de l’Etat par le président sortant, en appelant la commission électorale à le lui interdire ou, du moins, à le lui reprocher comme elle l’a fait en 2019 avec l’ancien chef de gouvernement Youssef Chahed et en 2014 avec l’ancien président de la république Moncef Marzouki. Mais c’est là une autre histoire que l’Histoire, peut-être, retiendra.  

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