Le journal britannique The Observer, version du week-end du Guardian, a publié une enquête dans laquelle les deux auteurs, de Ruth Michaelson et Quick Kierszenbaum, citent les témoignages de trois soldats de réserve israéliens ayant participé à la guerre à Gaza et qui évoquent leur désir de quitter l’armée, une armée qui avec les multiples bavures et les actes de délinquance de ses membres ressemble davantage à une organisation criminelle. (Illustration : Les réservistes de l’armée israélienne Yuval Green, Tal Vardi et Michael Ofer Zeev révèlent les raisons pour lesquelles ils ne sont pas retournés au service militaire à Gaza. Photographie : Quique Kierszenbaum/The Observer).
Imed Bahri
Pour le soldat des services médicaux Yuval Green, c’est l’ordre d’incendier une maison qui l’a poussé à mettre fin à son service de réserve. Green a passé 50 jours à Khan Yunis avec l’unité de parachutistes, où il a dormi à la lumière d’une torche de batterie, au milieu des décombres.
Il y a quelques mois, il a commencé à douter de l’objectif de son unité lorsqu’il a entendu le refus d’Israël de répondre aux demandes du Hamas d’arrêter la guerre en échange de la libération de ses détenus.
Green est l’un des trois réservistes qui ont déclaré au journal britannique qu’ils ne retourneraient pas dans l’armée si on le leur demandait. Tous trois ont accompli le service militaire obligatoire imposé à tout le monde en Israël. Ils sont retournés dans l’armée après l’opération Déluge d’Al-Aqsa le 7 octobre dernier. Mais le comportement destructeur que Green a vu adopter par le reste des soldats à Gaza a fait naître des doutes chez lui et un sentiment de désespoir face à la spirale de violence. Il a déclaré qu’il était resté là «par souci pour les soldats qu’il avait connus pendant leur service obligatoire. Ils étaient en colère après avoir vu les destructions causées par le Hamas dans le sud d’Israël.»
Il a poursuivi: «Je voyais tout le temps des soldats écrire des graffitis ou voler. Ils entraient dans une maison pour des raisons militaires, pour chercher des armes mais plus encore pour s’amuser. Ils avaient une passion pour la recherche de colliers portant des écritures arabes et les collectionnaient.»
La plus longue guerre menée par Israël depuis 1948
Au début de cette année, «un ordre nous a été donné. Nous étions à l’intérieur d’une maison et le commandant nous a ordonné de la brûler». Lorsqu’il a soulevé le problème avec son chef de groupe, «la réponse a été que je n’étais pas assez bien», raconte Green avant de poursuivre: «J’ai dit: si nous faisons cela sans raison alors je ne participerai pas et je suis parti le lendemain.»
The Observer affirme que la réponse israélienne à l’opération Déluge d’Al-Aqsa s’est transformée en la plus longue guerre menée par Israël depuis 1948 et a entraîné la mort de plus de 39 000 Palestiniens à Gaza. On estime que des milliers d’autres sont encore sous les décombres, 90 000 blessés et la majeure partie de la population de la bande de Gaza soit 2,3 millions de personnes a été déplacée, à un moment où les observateurs craignent que la guerre ne s’étende au Liban. Deux parmi les trois réservistes ayant témoigné ont déclaré qu’ils retourneraient dans l’armée si l’échange quotidien de missiles entre Israël et le Hezbollah se transformait en guerre totale.
Tous trois ont cité diverses raisons pour ne pas retourner à Gaza, de la façon dont l’armée gère la guerre jusqu’à la réticence du gouvernement à conclure un accord d’échange de prisonniers qui mettrait fin à la guerre.
Le journal commente que les propos des trois hommes sur leur refus de retourner à Gaza demeure toutefois minoritaire car refuser le service militaire est illégal.
La guerre ne ramènera pas les prisonniers
Le mois dernier, 41 soldats de réserve ont signé une lettre dans laquelle ils annonçaient qu’ils ne participeraient pas à l’attaque israélienne contre la ville de Rafah, au sud de Gaza. «Six mois de participation à l’effort de guerre ont démontré que l’action militaire à elle seule ne suffira pas à ramener des prisonniers», écrivent-ils. «Chaque jour qui passe, leurs vies sont mises en danger et les soldats n’ont pas assuré la sécurité de ceux qui vivent aux frontières de Gaza et du nord», ajoutent-ils.
Le porte-parole de l’armée israélienne n’est pas d’accord, soulignant que «les pressions exercées sur le Hamas ont conduit au retour de nombreux prisonniers comme cela s’est produit lorsque la 98e division de l’armée a découvert cinq corps». Il a ajouté que l’armée «fonctionne sur la base de la loi relative au service militaire et définissant les devoirs des soldats. Chaque cas de rejet est examiné en fonction des circonstances qui y sont liées.»
Le Premier ministre génocidaire israélien Benjamin Netanyahu s’est engagé à remporter une victoire globale soulignant que «la pression militaire sur le Hamas était le seul moyen de rendre les prisonniers».
«Quiconque est intelligent sait que la présence militaire ne favorise pas le retour des prisonniers», a répliqué Tal Vardi, un enseignant qui a suivi une formation de réserviste dans les chars dans le nord. «Si nous ne ramenons pas les prisonniers, cela ne provoquera que la mort de notre côté et du côté palestinien. Je ne peux plus justifier cette opération et je ne suis pas prêt à faire partie d’une armée qui fait cela», dit-il. «Ces opérations mettent la vie des otages en danger et l’armée a tué des gens par erreur», ajoute-t-il, faisant référence à un incident en décembre lorsque les forces israéliennes ont tué trois personnes parmi les détenus à Gaza qui portaient le drapeau blanc et se dirigeaient vers l’armée. «Cela va encore se produire», a déclaré le réserviste Michael Ofer Zeev, chez qui l’incident a fait naître le sentiment qu’il ne retournerait pas dans l’armée une fois son service à Gaza terminé. Il craignait que le système continue d’autoriser ces erreurs.
Des règles d’engagement peu claires
Zeev est revenu dans l’armée, quelques jours après le 7 octobre en tant qu’officier des opérations ce qui impliquait de passer de longues heures devant un écran diffusant en direct des images collectées par les drones d’une petite zone de la bande de Gaza. Cela signifiait observer la vie quotidienne des Palestiniens, suivre les chiens errants et les voitures qui passaient dans les rues bombardées par les raids. Il a déclaré: «Vous voyez soudain un bâtiment s’élever dans les airs, ou une voiture que vous suiviez disparaître dans un nuage de fumée, quelque chose d’irréel». Et d’ajouter: «Certains étaient heureux de voir Gaza, cela signifie que nous sommes en train de détruire Gaza.»
Lorsque les forces terrestres sont entrées dans le secteur, leur rôle s’est transformé en surveillance des mouvements et des activités de soutien, ainsi qu’en demande de cibles pour des raids. «Nous avons toujours obtenu l’autorisation de frapper» et l’approbation d’une frappe aérienne était «une simple décision bureaucratique», explique Zeev, se sentant en colère contre ce qu’il décrivait comme l’absence de règles d’engagement claires.
Ces règles n’étaient pas claires pendant le service obligatoire mais dans cette guerre, elles sont très molles et lâches d’une manière que le militaire n’avait jamais connue auparavant. «Après qu’ils ont abattu les trois détenus, j’ai essayé de me rappeler s’il existait un registre comme celui-ci que j’étais censé voir», raconte encore Zeev et d’ajouter : «J’étais sûr qu’il y avait eu des briefings avec les soldats mais sans un registre fiable, ce n’est pas clair ce que les soldats ont compris.»
Le porte-parole de l’armée a nié l’existence de règles d’engagement laxistes. Il a ajouté que l’armée dispense une formation intensive aux soldats sur ces règles et sur la manière d’agir en conséquence, et que «de plus, les soldats reçoivent avant toute opération militaire, des instructions détaillées sur les règles et toute accusation d’absence de règles d’engagement est absolument fausse.»
Zeev se souvient avoir pleuré dans les toilettes lorsque son unité a perdu la trace d’un enfant palestinien blessé à un point de contrôle et des choses comme celle-ci l’ont fait réfléchir à son rôle dans la guerre et à l’objectif général des combats. Il a ajouté que la décision d’entrer à Rafah au lieu d’accepter un accord d’échange de détenus lui avait confirmé qu’il ne retournerait pas dans l’armée. Lorsqu’il a reçu un appel de son commandant lui demandant de revenir, il lui a dit qu’il ne pouvait pas revenir. «Je suis revenu après le 7 octobre et j’ai pensé que peut-être ils avaient dépassé le stade actuel et utilisaient notre présence de manière utile mais je ne suis pas prêt à y participer et je n’ai pas confiance dans le gouvernement et dans ce qu’il fait», lui a-t-il dit. «Si quelque chose arrive dans le nord, il y a une chance de revenir. D’un autre côté, je sais ce qui va se passer et je sais ce que nous avons fait à Gaza et je n’ai aucune raison de penser que nous agirons différemment au Liban», conclura-t-il.