Tunisie : Kaïs Saïed met l’UGTT au chômage technique

On peut reprocher beaucoup de choses à Kaïs Saïed, sauf de ne pas avoir de la suite dans les idées. La preuve nous est donnée une nouvelle fois par sa détermination à amender le code du travail «afin de consacrer le rôle social de l’État et de concrétiser le droit des travailleurs à un emploi décent et un salaire équitable.» Les dirigeants de l’UGTT n’ont qu’à aller se rhabiller !

Ridha Kefi

Ces recommandations ont souvent été faites à l’ancien Premier ministre Ahmed Hachani, spécialiste en gestion des ressources humaines, qui n’a pas réussi à les mettre en œuvre et c’est l’une des raisons qui ont probablement accéléré, aux yeux du chef de l’Etat, son limogeage et son remplacement par Kamel Maddouri, un spécialiste des questions sociales qui a fait toute sa carrière dans la fonction publique et qui sait désormais ce qu’on attend de lui, à savoir mettre en musique les partitions du président de la république sur le thème qui lui est le plus cher et qui fut son slogan de campagne en 2019, «Echaâb yourid» (Le peuple veut). Mais que veut le peuple sinon un Etat plus social, c’est-à-dire plus distributeur des maigres ressources publiques, en plus d’un emploi décent et d’un salaire équitable pour tous les travailleurs ?

Mettre définitivement fin au travail précaire…

C’est ce que Saïed a rappelé lors de son entretien vendredi 9 août 2024, au Palais de Carthage, avec le nouveau chef du gouvernement, en soulignant l’importance d’accélérer la finalisation du projet d’amendement de certaines dispositions du code du travail pour mettre définitivement fin à la sous-traitance et aux contrats de travail à durée déterminée, pratiques auxquelles recourt couramment le secteur public, c’est-à-dire l’Etat.

Selon un communiqué de la présidence de la république, le chef de l’Etat a estimé que les «dispositions encore en vigueur s’élèvent au rang de crimes de traite des êtres humains», soulignant «la nécessité de mettre fin à la sous-traitance dans le secteur public, instaurée par de simples circulaires qui ont porté atteinte aux droits fondamentaux des travailleurs».

Les dirigeants de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la puissante centrale syndicale aujourd’hui en perte d’influence, n’ont donc qu’à aller se rhabiller : c’est le chef de l’Etat lui-même qui s’approprie désormais leurs revendications et épouse une posture clairement contestatrice.

Un président contre l’Etat, ça ne s’est jamais vu auparavant. Mais Saïed, qui se donne pour mission d’assainir l’Etat et de libérer l’administration publique de l’influence néfaste des groupes d’intérêts, et de les débarrasser, et l’Etat et l’administration, de l’emprise du libéralisme sauvage, est en train de l’inventer cet Etat qui s’auto-conteste et assume, à la fois, le pouvoir et l’opposition. D’ailleurs, cette dernière, presque anéantie, ses principaux dirigeants étant en prison, est actuellement assumée par le chef de l’Etat en personne. L’homme du changement, c’est lui. Il continue de guerroyer contre un «Etat profond» récalcitrant, conservateur et qui cherche à retarder la mise en place du modèle socio-économique égalitariste et socialisant défendu par le guide-président.

… en commençant par l’éducation nationale

En passant sans transition du code du travail au projet de texte relatif au Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement pour souligner la nécessité de le soumettre au plus vite au Conseil des ministres, le président de la république prouve encore une fois qu’il a de la suite dans les idées et qu’il ne lâche rien, car si la réforme sociale qu’il envisage à des chances de réussir malgré toutes les résistances, c’est dans ce secteur vital qu’elle doit être mise en œuvre en premier. Le ministère de l’Education n’est-il pas le plus gros employeur de travailleurs précaires, qui ne cessent de protester depuis plusieurs années contre un gouvernement indifférent à leurs revendications ?     

«Le secteur de l’éducation et de l’enseignement est un secteur de souveraineté», a lancé Saïed. «Il n’y a pas d’avenir sans un enseignement public et une éducation nationale», a-t-il indiqué, soulignant «l’importance de préserver le capital humain pour promouvoir et développer tous les secteurs».

Résumons-nous : Kamel Maddouri, s’il n’a pas encore de programme clair, sait qu’il a deux urgences. D’abord amender le code du travail pour mettre fin au travail précaire, puis accélérer la réforme du secteur éducatif. Mais ces deux réformes ont un coût élevé, ne fut-ce que pour intégrer les dizaines de milliers d’employés précaires du secteur public auxquels on a fait miroiter cette possibilité.

On est certes en campagne électorale pour la présidentielle du 6 octobre prochain, mais certaines promesses seront difficiles à réaliser. Et d’ailleurs, qu’en pense notre argentière nationale, la ministre des Finances, qui voit les finances publiques se détériorer chaque jour un peu plus du fait de l’inflation, du creusement des déficits publics et de l’explosion de la dette ? On aimerait bien l’entendre plus souvent à propos des engagements financiers de l’Etat, d’autant qu’elle gère notre argent…

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