Pendant que le Hezbollah se faisait décimer, l’Iran draguait les Occidentaux à New York

Alors que toute la semaine dernière, la machine de guerre israélienne se déchaînait sur le Hezbollah libanais, que les bombes pleuvaient sur le Liban et que la direction du mouvement chiite libanais armé par l’Iran était décimé et son chef Hassan Nasrallah éliminé vendredi 27 septembre 2024, c’était une toute autre ambiance à New York pour la république islamique d’Iran.

Imed Bahri

En marge de l’Assemblée générale annuelle des Nations unies, les responsables iraniens avaient la tête ailleurs, ils étaient accaparés par la drague de leurs homologues occidentaux afin de se rabibocher avec eux et tant pis pour leur allié libanais qu’ils ont sacrifié, abandonné tout seul face à Israël et qui se retrouve acculé à boire le calice jusqu’à lie. 

The Observer, version du week-end du journal britannique The Guardian, a publié une lecture analytique de son rédacteur en chef diplomatique Patrick Wintour dans laquelle il affirme que l’assassinat du chef du Hezbollah place l’Iran devant des décisions fatidiques. 

Tous les regards sont désormais tournés vers Téhéran qui fait face à ces choix fatidiques qu’il a tenté d’éviter et que son président réformateur ne veut pas faire. Bien qu’il ait critiqué avec colère les opérations israéliennes qui ont détruit la colonne vertébrale de l’Axe de la résistance qu’il avait travaillé diligemment et activement à construire pendant de nombreuses années, aujourd’hui la crédibilité de l’Iran est en danger.

D’un point de vue pragmatique, l’Iran pourrait conseiller au Hezbollah d’absorber les pertes et d’accepter un cessez-le-feu qui ne soit pas lié à l’arrêt de la guerre contre Gaza. Ce qui équivaudrait à une nouvelle débandade. Mais si l’Iran décide de lancer une opération de représailles contre Israël, celle-ci doit être qualitative et forte car il sait qu’il mènera une guerre contre une armée supérieure sur le plan militaire, technologique et en matière de renseignement. D’autant qu’Israël, qui a infiltré le Hezbollah jusqu’au cœur, a peut-être fait la même chose avec l’Iran.

Les Iraniens piégés par leur double jeu

Pour le nouveau président Masoud Pezeshkian, réformateur élu pour œuvrer à la levée des sanctions économiques contre l’Iran et à l’établissement de bonnes relations avec l’Occident, l’assassinat de Nasrallah est survenu au pire moment. Son ministre des Affaires étrangères Abbas Araghchi a passé une semaine entière à New York et a rencontré en marge des réunions de l’Assemblée générale des Nations Unies des responsables européens tels que la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock et son homologue britannique David Lammy pour tenter de les persuader de reprendre les négociations sur l’accord nucléaire.

Le président Pezeshkian a, de son côté, tenu une réunion avec le président français Emmanuel Macron pour le convaincre de relancer les relations commerciales avec son pays.

Dans le même temps, le même Araghchi a fait une déclaration destinée à la consommation médiatique dans le monde arabo-musulman disant sur le ton imprécatoire que lui et ses compatriotes affectionnent: «L’assassinat de Nasrallah a accéléré la fin du sionisme et le Hezbollah en sortira plus fort». Sauf que le double jeu iranien commence à ne plus payer auprès de cette opinion ou d’une partie de celle-ci qui a tendance à ne plus prendre au sérieux les responsables iraniens et à être agacé par leur baratin. 

Pour sa part, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique Rafael Grossi a été sensible à la drague d’Araghchi et même impressionné par ce qu’il a entendu lors des réunions. «Je crois que c’est le moment où quelque chose peut être faite sur la question nucléaire et l’avantage d’Araghchi est qu’il sait tout sur le processus et lui permet de se dérouler rapidement», a-t-il dit, dans ce qui ressemble à une prophétie autoréalisatrice.

L’Iran veut sa bombe atomique, et cherche pour cela à gagner du temps, mais l’Occident va-t-il le laisser la fabriquer, maintenant qu’il louvoie et montre des signes de faiblesse ?

Les Iraniens menés en bateau  

Après l’assassinat de Nasrallah, il sera extrêmement difficile pour le camp réformateur iranien de convaincre les partisans de la ligne dure à Téhéran que lever un rameau d’olivier a aujourd’hui un sens. D’autant que Pezeshkian s’est plaint ouvertement d’avoir été dupé par les Occidentaux après avoir écouté leurs conseils de faire preuve de self control et de s’abstenir de répliquer à Israël suite à l’assassinat du chef du bureau politique du Hamas Ismaïl Haniyeh à Téhéran le 31 juillet dernier. Il a déclaré qu’on lui avait promis un cessez-le-feu à Gaza dans une semaine ou deux mais en vain. Cela n’a pas eu lieu parce que les États-Unis, aux yeux de l’Iran, n’ont pas exercé la pression nécessaire sur le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour qu’il accepte un cessez-le-feu.

The Observer estime qu’ayant été trompé une fois, Pezeshkian aura du mal à admettre que les États-Unis n’avaient aucune connaissance préalable du projet israélien visant à tuer Nasrallah. Netanyahu a approuvé le plan d’assassinat depuis sa chambre d’hôtel à New York mais ce sont des bombes américaines anti-bunker qui ont explosé à Beyrouth.

En réaction, le guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei a fulminé comme à son habitude et appelé le monde islamique à se tenir aux côtés du Liban et du fier Hezbollah par tous les moyens possibles et à les aider à affronter le régime maléfique d’Israël. Il n’a cependant pas précisé si l’Iran allait bouger le petit doigt pour voler au secours de son principal allié dont la direction se fait décimer tous les jours depuis deux semaines. 

Netanyahu mène la danse

Pour revenir aux relations entre les Etats-Unis et Israël, on notera que l’administration Biden n’a pas fini d’essuyer les camouflets de la bande de génocidaires au pouvoir à Tel Aviv. Chaque jour apporte la preuve qu’elle est incapable de contrôler son allié problématique au Proche-Orient.

Netanyahu espère avoir ridiculisé les diplomates américains à New York, estime The Observer. Le Département d’État américain affirme avoir eu un accord clair sur la base de conversations avec Ron Dermer, le ministre israélien des Affaires stratégiques, et Benjamin Netanyahou lui-même selon lequel Israël accepterait un cessez-le-feu de 21 jours. Pourtant, dès que le plan a été annoncé, Netanyahu s’est rétracté et a rejeté l’accord sous la pression des membres extrémistes de son cabinet.

D’une certaine manière, cette situation est le fruit de 12 mois de stratégie américaine aujourd’hui en ruine. À maintes reprises depuis l’opération Déluge d’Al-Aqsa du Hamas le 7 octobre, les États-Unis ont demandé à Israël d’adopter une autre stratégie à Gaza autorisant le transfert de matériel humanitaire vers des itinéraires sûrs en ne lançant pas d’assaut terrestre sur Rafah et en acceptant un cessez-le-feu au lieu d’une escalade. À chaque fois, Netanyahu a d’abord admis le point de vue américain puis a esquivé une réponse claire et finalement ignoré Washington. A chaque fois, les Etats-Unis, vexés et frustrés, ont exprimé leurs doutes quant à la stratégie de Netanyahu mais à chaque fois ils ont continué à lui fournir les armes.

Alors que l’élection présidentielle approche et que Netanyahu jouit d’une popularité croissante dans son pays et que peu d’États arabes pleurent la disparition de Nasrallah, les États-Unis semblent avoir peu d’options à leur disposition. Netanyahu insiste sur le fait qu’il est en train de gagner et qu’il est sur la bonne voie pour une victoire totale.

Pour le moment, à moins que l’Iran ne se montre plus décisif qu’il ne l’a été jusqu’à présent, c’est Netanyahu, le grand survivant, qui est aux commandes.