Une vidéo devenue virale faisant la promotion du tourisme local en Tunisie suscite un vif débat après avoir placé les Tunisiens face au dilemme entre l’amour de la patrie et la nécessité d’émigrer. Un vrai dilemme, pas vraiment, un faux débat, sans doute.
Imed Bahri
La vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, réalisée dans le cadre d’une campagne promotionnelle du ministère du Tourisme baptisée «Touneslik», a totalisé plus de 3 millions de vues en quelques jours seulement mais a également suscité de nombreux commentaires, notamment négatifs.
En fait, la vidéo a laissé particulièrement perplexes les Tunisiens vivant à l’étranger, y compris ceux qui ont dû quitter la Tunisie à contrecœur, estimant qu’elle stigmatise le fait de quitter leur pays et présente une réalité édulcorée dans laquelle se cache un message qualifié de «populiste».
Dans la vidéo, Fatma Bououn, créatrice de contenu bien connue, représente une mère conduisant sa fille à l’hôtel. Avant la cérémonie de mariage, elle lui offre un pendentif qui présente le contour des frontières de la Tunisie, pendentif qui rappelle à la mariée son amour pour son pays à travers ses souvenirs de visites dans différentes régions. C’est pourquoi elle pose une condition à son mari avant de lui dire le oui fatidique : celle de ne jamais quitter la Tunisie.
Ceux qui partent n’ont pas toujours tort
Sur les réseaux sociaux, la vidéo de Bououn a également été moquée pour sa naïveté. Partir ou rester est une question très sensible en Tunisie, où plus du dixième de la population réside à l’étranger et où les flux d’émigration se sont intensifiés au cours de la dernière décennie, notamment parmi les ingénieurs, les médecins et les technologues, très convoités à l’étranger et, surtout, pour fuir des conditions professionnelles et de vie en-deçà de leurs ambitions. Pour cette raison, de nombreux internautes ont préféré réagir avec humour ou de manière satirique à une vidéo qui semble en totale déconnexion par rapport à la réalité.
Ce débat nous semble très mal posé, car ceux qui quittent leur pays pour aller monnayer leur talent ailleurs ou pour trouver de meilleures conditions pour s’épanouir sur les plans personnel et professionnel ne manquent de patriotisme. La preuve, l’écrasante majorité d’entre eux gardent des liens très forts avec leur pays où la plupart rentrent souvent en cours d’année pour rendre visite à leurs parents et proches. D’ailleurs, la première source de rentrées de devises en Tunisie ce sont les envois des expatriés : elles devancent les recettes du tourisme ou des exportations.
C’est ton pays qui doit le persuader de rester
Dans ce contexte, nous ne résistons pas à la tentation de reproduire, ci-dessous, cette phrase de l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf extraite de son essai ‘‘Les désorientés’’ : «Tout homme a le droit de partir, c’est son pays qui doit le persuader de rester – quoi qu’en disent les politiques grandiloquents. ‘‘Ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays.’’ Facile à dire quand tu es milliardaire, et que tu viens d’être élu, à quarante-trois ans, président des États-Unis d’Amérique ! Mais lorsque dans ton pays, tu ne peux ni travailler, ni te soigner, ni te loger, ni t’instruire, ni voter librement, ni exprimer ton opinion, ni même circuler dans les rues à ta guise, que vaut l’adage de John F. Kennedy? Pas grand-chose ! «C’est d’abord à ton pays de tenir, envers toi, un certain nombre d’engagements. Que t’y sois considéré comme un citoyen à part entière, que tu n’y subisses ni oppression, ni discrimination, ni privations indues. Ton pays et ses dirigeants ont l’obligation de t’assurer cela ; sinon tu ne leur dois rien. Ni attachement au sol, ni salut au drapeau. Le pays où tu peux vivre la tête haute, tu lui donnes tout, tu lui sacrifies tout, même ta propre vie; celui où tu dois vivre la tête basse, tu ne lui donnes rien. Qu’il s’agisse de ton pays d’accueil ou de ton pays d’origine. La magnanimité appelle la magnanimité, l’indifférence appelle l’indifférence, et le mépris appelle le mépris. Telle est la charte des êtres libres et, pour la part, je n’en reconnais aucune autre.»
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