Donald Trump a remporté Dearborn, dans le Michigan, un fief arabo-américain traditionnellement démocrate grâce au mécontentement envers Kamala Harris et la position de Joe Biden sur la guerre de Gaza, entièrement alignée sur les intérêts d’Israël et totalement indifférente à l’égard des souffrances des Palestiniens, victimes d’une vaste opération de nettoyage ethnique, mais l’heure est déjà à l’amertume et au regret. C’est ce qu’affirme Liz Crampton dans une enquête publiée par le magazine Politico, dont nous reproduisons ci-dessous les principales conclusions. (Ph. Donald Trump lors d’un meeting électoral avec des dirigeants d’origines arabe et/ou musulmane, le samedi 26 octobre 2024, à Novi, Michigan. Regardez sa grimace : il y était à contre cœur pour ramasser des voix.)
Imed Bahri
Après que Donald Trump a dévoilé un plan visant à prendre le contrôle de la bande de Gaza et à transférer près de deux millions de Palestiniens vers les pays voisins, deux maires du Michigan qui soutenaient activement Trump se sont murés dans le silence. Certains habitants de Dearborn ont été horrifiés par la position du président envers les Palestiniens.
«Les habitants de la ville se sont sentis très en colère et déçus par le président qui a menti à leur communauté pour voler une partie de leurs votes», a déclaré Osama Siblani, rédacteur en chef du Dearborn Arab American News.
Siblani, qui avait, pour sa part, refusé de soutenir Trump dans la course à la présidence, estime que la proposition de Trump échouera, car ce dernier se comporte comme un chef de gang et non comme le président du pays le plus puissant du monde. Et c’est une honte, dit-il.
Un dirigeant de Dearborn, qui a demandé de garder l’anonymat pour parler en toute franchise, a décrit un sentiment de remord chez certains membres de la communauté arabo-américaine qui ont voté pour Trump ou qui se sont abstenus de voter lors de l’élection : ils pensent maintenant avoir fait une erreur.
Les Arabo-américains se sentent floués
Les commentaires de Trump mardi, qui ont choqué le monde entier et ont été rapidement repris par ses collaborateurs, ont provoqué une onde de choc à Dearborn révélant de profondes divisions politiques dans une communauté déchirée suite à la guerre de Gaza qui a causé la mort de plus de 50 000 Palestiniens et dévasté ce territoire palestiniens.
Il n’y a pas longtemps, les Américains d’origine arabe célébraient un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas que certains attribuaient à Trump puis sont venus ses propos de cette semaine et le malaise suscité par son désir de transformer Gaza en une Riviera du Moyen-Orient.
Arab Americans for Trump, le groupe qui s’est activement investi pour la campagne présidentielle, s’est rebaptisé Arab Americans for Peace dans les heures qui ont suivi l’annonce par Trump que les États-Unis prendraient possession de Gaza.
«Gaza fera toujours partie d’un futur État palestinien, pas d’un complexe de casino», a déclaré pour sa part Sam Baydoun, commissaire démocrate du comté de Wayne à Dearborn.
Dans la ville de Baydoun, les déclarations de Trump et son alliance avec Israël ont relancé un débat qui faisait rage à l’approche des élections de novembre. De nombreux Américains d’origine arabe vivant dans ce pays, qui ont historiquement voté en bloc pour les démocrates, se sont abstenus, ont voté pour la candidate indépendante Jill Stein ou pour Trump par ressentiment et colère à cause du soutien de l’administration Biden à Israël et critiquant Harris pour son refus d’appeler à un embargo sur les armes.
Deux maires de la région, celui de Dearborn Heights, Bill Bazzi, et celui de Hamtramck, Amer Ghaleb, ont fait campagne pour Trump affirmant qu’il tiendrait sa promesse d’apporter la paix au Moyen-Orient. Pendant ce temps, le maire de Dearborn, Abdullah Hamoud, est devenu le leader du mouvement non-conformiste qui a suscité des manifestations contre la guerre sur les campus universitaires à travers le pays et a refusé de soutenir Harris.
Cette semaine, Bazzi et Ghaleb n’ont pas répondu aux multiples demandes de commentaires. Sur la plateforme X, Hamoud a quant à lui déclaré que la proposition de Trump «représente un autre chapitre du génocide en cours» et que «le déploiement des forces américaines et l’utilisation de l’argent des contribuables pour envahir Gaza sont moralement indéfendables».
Lorsque Trump, qui discutait de cette idée en privé depuis des mois, a révélé ses intentions sur Gaza lors d’une conférence de presse aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, certains collaborateurs de la Maison Blanche y ont vu une stratégie de négociation pour donner à Israël plus de poids sur le Hamas tout en travaillant à consolider un cessez-le-feu.
Dès lors, certains collaborateurs ont cherché à calmer une partie de la colère suscitée par cette proposition y compris celle de certains républicains au Capitole en reformulant les propos de Trump comme un moyen de parvenir à une paix durable.
Trump sur son bulldozer
Toutefois Trump a réitéré ses propos jeudi, sapant les efforts des responsables qui cherchaient à les «clarifier». Trump a publié sur Truth Social: «Israël remettra Gaza aux États-Unis. Les États-Unis, en collaboration avec d’excellentes équipes de développement du monde entier, commenceront lentement et soigneusement à construire ce qui deviendra l’un des projets de développement les plus grands et les plus étonnants de son genre sur Terre.»
Certains Américains d’origine arabe qui considèrent la volonté de Trump d’expulser les habitants de Gaza comme une approbation du nettoyage ethnique ont déclaré que l’idée était si bizarre qu’elle ne se concrétiserait jamais. La conquête d’un tel territoire représenterait l’intervention américaine la plus importante au Moyen-Orient depuis la guerre en Irak.
Bien que Trump soit critiqué, il n’y a pas de sentiment général à Dearborn que Harris aurait été meilleure.
Amer Zahr, militant progressiste de Dearborn, a déclaré: «Pour ceux d’entre nous qui ont voté contre le Parti démocrate, nous avons compris que nous allions avoir ce type et nous avons compris que nous allions devoir faire face à ce genre de choses, mais en fin de compte, nous ne pensons pas être responsables de cela. Les démocrates auraient pu résoudre ce problème l’été dernier. Le prix de notre soutien à Harris était vraiment bas.»
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