Attayar, le Mouvement Echaâb et Tahya Tounes sont clairement les trois cibles privilégiées d’Ennahdha pour une éventuelle nouvelle alliance gouvernementale. Une idée qui ne séduit pas pour autant les dirigeants de ces 3 partis, lesquels doivent faire preuve de malice politique pour justifier leurs positions respectives, auprès d’Ennahdha, mais surtout de leurs partisans et de l’opinion publique.
Par Cherif Ben Younès
Le nombre de sièges obtenus par Ennahdha à la prochaine Assemblée des représentants du peuple (ARP), à savoir 52 sur 217, ne lui permet pas de gouverner tout seul. Le parti islamiste est donc dans l’obligation de se chercher «des copains».
D’autre part, il ne peut pas s’allier aux deux autres forces parlementaires, faisant partie de la «famille démocrate», à savoir Qalb Tounes et le Parti destourien libre (PDL), au vu de plusieurs considérations politiques et idéologiques.
Ennahdha ne souhaiterait pas, non plus, constituer un gouvernement 100% islamiste, avec la coalition Al Karama, notamment du fait de l’extrémisme religieux qui caractérise la réputation de bon nombre de ses dirigeants, et qui pourrait, par conséquent, entacher celle du parti victorieux des législatives, à l’interne comme à l’international.
Personne n’a intérêt à s’allier à Ennadha
Restent donc les 3 partis cités ci-dessus… Toutefois, il n’est clairement pas de l’intérêt de ceux-ci de faire partie du prochain gouvernement. Et ce pour 2 raisons essentielles…
D’abord, la conjoncture du pays ne présage pas le succès du prochain gouvernement. En effet, au vu de plusieurs indicateurs économiques, il est difficile d’imaginer que la situation tunisienne connaîtra des jours meilleurs, à court (voire même à moyen) terme.
Mais c’est surtout l’histoire politique récente de la Tunisie, depuis la révolution de 2011, qui ne ferait pas d’une alliance avec Ennahdha une bonne idée…
Cette histoire a, en effet, montré que la grande majorité des électeurs Tunisiens parmi ceux qui ne s’alignent pas à l’islam politique, perçoivent d’un très mauvais œil l’alliance d’un parti, supposé être moderniste, avec Ennahdha.
La chute en popularité de tous ceux qui ont coopéré avec le parti islamiste depuis la révolution, à l’instar du Congrès pour la République (CPR), Ettakatol, Nidaa Tounes, Afek Tounes,, etc., en est la preuve. D’ailleurs, même Tahya Tounes a payé le prix de la collaboration de son président fondateur et chef du gouvernement, Youssef Chahed, avec Ennahdha.
Les dirigeants d’Attayar, du Mouvement Echaâb et de Tahya Tounes savent donc très bien qu’ils risqueront gros, dans l’avenir, au cas où ils accepteraient de faire partie du prochain gouvernement. Cela pourrait même s’apparenter à un suicide politique.
Comment, donc, justifier le refus ?
La décision de refuser de gouverner avec Ennahdha serait, par conséquent, déjà prise, si leur évaluation de la situation est, un tant soit peu, cartésienne…
En revanche, ce refus pourrait leur apporter des critiques virulentes… On peut, en effet, leur reprocher le fait de ne se soucier que de l’intérêt de leur propres partis et de, totalement, négliger celui de la patrie, dont la situation ne peut supporter de nouveaux tiraillements politiques ou une perte de temps supplémentaire.
Tout l’enjeu de ces partis réside donc dans la façon de communiquer et de justifier leur refus. Et, à cet égard, la stratégie qu’ils ont choisi d’adopter n’a rien d’original, mais semble faire l’affaire : accepter de négocier avec Ennahdha, tout en plaçant suffisamment haut la barre des conditions pour que les négociations échouent.
Cela explique, par conséquent, certaines divergences dans les déclarations des différentes parties prenantes concernées.
Penons l’exemple du mouvement Echaâb… Alors que le dirigeant Abderrazek Aouidet a indiqué, à Mosaïque FM, hier, 20 octobre 2019, que son parti fera partie du nouveau gouvernement s’il parvient à s’entendre avec Ennahdha, «sur un programme national répondant aux aspirations de la population»… laissant ainsi croire que les négociations devraient se concrétiser, le secrétaire général du mouvement, Zouhair Maghzaoui, a, quant à lui, assuré, le jour-même, à Tunis Afrique Presse (Tap), que son parti «ne participera pas au prochain gouvernement» et que le mouvement islamiste «faisait partie de l’échec au pouvoir et va œuvrer pour le reproduire». Tout ça après avoir, entre autres, exigé, la semaine passée, que Safi Saïd soit chef du gouvernement, pour accepter d’en faire partie.
Attayar a lui aussi choisi de ne pas annoncer clairement son rejet des propositions d’Ennadha, choisissant d’émettre des demandes quasiment irréalisables : avoir, notamment, des représentants à la tête de deux ministères de souveraineté : celui de l’Intérieur et celui de la Justice.
Disposant d’une base électorale plus hostile à l’islam politique que celles de ses deux homologues, et ayant surtout déjà fait les frais, dans une certaine mesure, de la collaboration avec Ennahdha, les dirigeants de Tahya Tounes ont opté pour une stratégie légèrement différente : négocier oui, tout en le cachant aux médias et en affirmant que le mouvement n’est pas du tout concerné par le prochain gouvernement. Après tout, ça sera, au bout compte, l’issue inévitable de ces négociations…
Ne pas s’allier avec Ennahdha, tout en préservant les intérêts du pays… l’équation difficile
Les trois partis sont, par contre, conscients, qu’ils doivent faire éviter le chaos au pays, qui fait, désormais, face au risque de retarder, de plusieurs mois, la mise en place d’un nouveau gouvernement et de refaire de nouvelles législatives en mars 2020. Pour cela, l’idée de soutenir la composition gouvernementale d’Ennahdha, sans en faire partie, est plus qu’envisageable.
Attayar a même fait des déclarations explicites allant dans ce sens, notamment par son secrétaire général, Mohamed Abbou.
Ce scénario offre l’avantage d’éviter la responsabilité d’un vide gouvernemental et de laisser Ennahdha aller au charbon tout seul, en misant sur son échec programmé
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