Après vous avoir présenté l’OCDE, éditeur d’un nouvel rapport sur la Tunisie*, je vous livre ici, en condensé, la perception des chercheurs de cette organisation internationale du problème du chômage en Tunisie. Jamais une étude n’a été aussi loin dans l’analyse des maux dont souffre depuis longtemps le marché de l’emploi, lesquels n’ont fait que s’amplifier dramatiquement depuis 2011… Bizarre, non ?
Par Samir Gharbi
Le Gouvernement et le Parlement (avant sa dissolution) n’ont jamais cessé de nous rebattre les oreilles avec leurs promesses voire même leurs lois visant à créer davantage d’emplois et donc à reduire le chômage… La réalité sur le terrain est tout autre.
L’Etat donne d’une main ce qu’il reprend de l’autre
Voici une des révélations des observateurs attentifs de l’OCDE. Dans un geste de bonne volonté, l’Etat a adopté un nouveau «code des investissements» en 2017. Objectif annoncé : accroître la liberté d’investir, protéger les investisseurs, réduire les formalités… Mais, comme à son habitude, la bureaucratie tunisienne s’est mise en action: ce que l’Etat donne d’une main, l’Etat le reprend ou le dénigre de l’autre… de façon camouflée.
Le rapport révèle – ce qui est passé inaperçu – que le décret d’application de la loi de 2017, publié en 2018, a volontairement compliqué la donne : le décret s’étend sur 222 pages et comprend 243 régimes d’autorisation et de licence. Le rapport commente : «C’est le décret le plus long jamais adopté en droit tunisien !»
Deuxième exemple, comme pour enfoncer le clou, le rapport évoque la loi sur les start-ups (2018). Au lieu de faciliter la vie des jeunes entrepreneurs, ladite loi a complexifié encore plus le système… Assez pour dissuader les jeunes d’entreprendre ! sauf les plus téméraires ou les mieux introduits…
Idem pour la loi sur la concurrence (2015)… C’est à se demander si l’Etat (sa bureaucratie, en fait) souhaite que le pays sorte de la crise… Mais, en fait, c’est la réalité que d’aucuns observent chaque fois qu’ils sont en contact avec un service administratif. Censé venir en aide aux citoyens et aux entreprises, les bureaucrates se comportent de façon négative voire répulsive…
En témoigne, l’abandon par les demandeurs d’emploi de toute recherche… d’emploi. Le rapport de l’OCDE révèle que près de 900 000 chômeurs (500 000 femmes et 400 000 hommes) sont sortis du marché officiel du travail préférant abandonner leur recherche, leur formation… Cela représente un quart de la population active. C’est énorme, c’est scandaleux !
La simplification des procédures porte souvent ses fruits
Incidemment, les auteurs du rapport disent que chaque fois qu’un pays a adopté et mis en œuvre la simplification des procédures, sa politique a porté ses fruits. C’est l’exemple du Portugal qui a fait du principe «silence vaut accord» et qui a automatisé les formalités et centralisé les procédures… Les guichets uniques avaient existé en Tunisie (dans les années soixante-dix, sous le gouvernement Hédi Nouira). Il n’y a qu’à les remettre en place pour de vrai, et non pour la façade…
Face à la montée du chômage, dont on ne mesure pas assez la gravité de l’ampleur, les Tunisiens l’apprennent tous les jours avec l’exode par milliers de jeunes et moins jeunes au péril de leur vie (pour atteindre un rivage européen). Qui n’a pas eu connaissance de l’émigration (légale) d’un jeune diplômé, un jeune informaticien, un jeune médecin, vers l’Allemagne, la France, la Belgique, le Canada… La fuite des «cerveaux» n’a jamais été aussi forte que depuis la désillusion provoquée par l’incapacité de la classe politique qui s’est imposée depuis 2011. Cette désillusion fait cependant le bonheur des marchands d’illusion qui promettent la lune ou le martyre…
Le chômage, dont le taux officiel dépasse les 18% (18,4% fin 2021), est mal évalué… par les services étatiques. Et c’est volontaire. Personne n’a voulu instaurer une indemnité de chômage générale, claire et transparente… seule façon de recenser le nombre exact de chômeurs. On reste dans l’approximation des enquêtes statistiques peu fiables (autour de 680 000 chômeurs en 2020).
Un Tunisien sur deux ne travaille pas
Pendant les années antérieures à 2011, le taux restait stationnaire autour de 11 ou 12%… Mais la réalité aujourd’hui saute aux yeux : avec les jeunes, plus visibles et plus revendicatifs, dont le taux d’inactivité dépasse les 40%. Chaque année, plus de 40 000 jeunes arrivent sur le marché de l’emploi. Et les cohortes s’accumulent face à une durée de plus en plus longue pour trouver un travail. La plupart n’ont d’autre choix que le secteur informel, c’est-à-dire, sans aucun droit social (sécurité sociale, indemnité, accident…).
Selon le rapport de l’OCDE, la Tunisie possède un taux d’emploi trop faible : 47% de la population en âge de travailler (15 ans et plus). Cela veut dire qu’un Tunisien sur deux ne travaille pas. De façon structurelle !
Un des non-dits est que la plupart de ceux qui veulent travailler exige de ne travailler que dans la fonction publique… Parce que c’est la seule qui permet de cumuler plusieurs emplois, un dans l’administration ou l’entreprise publique, et un autre dans le secteur informel et à son propre compte (un café, une épicerie, un restaurant…). Alors que la masse salariale du secteur est déjà l’une des plus élevées au monde ! Impossible donc d’embaucher davantage (au contraire, l’Etat devrait revoir la validité des dizaines de milliers de recrutements «politiques» réalisés entre 2011 et 2021)…
Le rapport révèle aussi que les entreprises privées ont du mal à trouver preneur de leur offre d’emploi… Elles sont trop exigeantes, licencient facilement et paient mal…
C’est la régulation du marché du travail qui est à revoir de fond en comble, avec en parallèle la législation sur la création d’entreprise et sur l’activité des petites entreprises (formalités trop lourdes et onéreuses, fiscalité aveugle, contrôles fiscaux permanents et dissuasifs).
Le rapport fourmille de recommandations et d’exemples venus d’ailleurs en matière d’éducation (d’abord), de formation (ensuite), de régulation du marché du travail avec une implication du secteur privé, de la concurrence, du climat d’investissement… Il n’y a qu’à lire pour se servir !
(*) Etude économique sur la Tunisie, avril 2022, 164 pages. OCDE. Paris.
Précédent article :
Rapport de l’OCDE sur la Tunisie : Comment sortir de la crise…
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