Quand il est à court d’idées et ne sait plus quoi faire pour calmer l’angoisse des citoyens face à leurs soucis quotidiens (pénuries, cherté de la vie, dégradation des services publics…), le gouvernement tunisien se met à rêver et à faire rêver, en tirant des plans sur la comète. Et le moins drôle dans tout ça, c’est que ça marche…
Par Imed Bahri
C’est ce qui s’est passé hier, samedi 17 septembre 2022, au palais du gouvernement à la Kasbah, lors du conseil des ministres présidé par la cheffe du gouvernement, Najla Bouden et consacré (attachez bien vos ceintures, car ça va décoller !) à la vision stratégique relative au secteur du transport et de la logistique.
Dans un pays où le gouvernement n’est même pas capable de vous assurer que, demain, vous trouverez du lait, du yaourt, du café et de l’eau minérale dans les rayons des supermarchés, lesdites visions stratégiques peuvent prêter à sourire sinon carrément à… pleurer.
Pour ne pas avoir à pleurer et à faire pleurer leurs malheureux administrés, les membres du gouvernement tunisien vous sortent, à chaque fois, de leurs tiroirs l’une de ces vieilles études, réalisées il y a dix, quinze ou vingt ans, souvent par des bureaux d’étude étrangers, et financées par des prêts payés rubis sur ongle, avant d’être enterrées sous des tonnes de dossiers.
On vous en met plein les yeux
On dépoussière ces études; on les actualise autant que faire se peut et on vous les sert avec des tableaux power point, des graphiques explicatifs, et même, must des musts, des images de synthèse et des vidéos futuristes, question de vous épater et de vous en mettre plein les yeux et de vous endormir, au passage, quoique momentanément.
C’est ainsi qu’hier, le conseil des ministres a passé en revue les grandes lignes d’une soi-disant vision stratégique relative au secteur du transport et de la logistique, une vision qui, nous apprend l’agence Tap, s’articule autour de 9 grands axes, à savoir la promotion de la filière des transports urbains, le renforcement des réseaux du transport ferroviaire des personnes et des marchandises, la réhabilitation des ports, aéroports et passages frontaliers terrestres et l’amélioration de leur rendement et de leurs services et le développement des projets de partenariat public-privé dans le domaine des infrastructures. Excusez du peu, mais tant qu’à faire, on peut vous en rajouter si vous voulez !
Il s’agit, également, la Tap dixit, du développement et de la rénovation de la flotte du transport, toutes catégories confondues, et de l’orientation vers l’exploitation de moyens de transport durables, de la promotion du secteur logistique pour soutenir les activités économiques et de la restructuration des entreprises publiques qui traversent des difficultés financières aiguës. Que tout cela est joliment dit !
Pour être plus exhaustif et vous convaincre de l’immensité du know how gouvernemental, on vous parle aussi de l’adoption d’applications technologiques modernes, de la promotion de la qualité de services, de la garantie de la sécurité globale, de l’amélioration de l’efficacité énergétique du secteur du transport et de la mise en place du transport durable ainsi que de la révision du cadre juridique et son adaptation aux exigences du secteur. C’est-à-dire tout, tout ce que vous avez vu dans les pays développés, qui vous épate et dont vous n’osez même pas rêver pour votre pays !
Et patati et patata… En veux-tu en voilà !
Mais rassurez-vous, le Plan directeur national du transport à l’horizon 2040 (comme c’est loin pour un gouvernement provisoire destiné à sauter au lendemain des législatives de décembre prochain !), comporte, apprend-on, 47 projets d’infrastructures pour des investissements globaux de près de 68 milliards de dinars. Cependant, et avant de se casser la tête à chercher ces fonds chez les bailleurs de fonds habituels, alors que le pays est endetté jusqu’au coup et mendie aux portes du Fonds monétaire international (FMI), on peut d’ores et déjà se gargariser aujourd’hui des objectifs visés par ladite STRATEGIE, comme les énumère l’agence Tap, dont le boulot consiste à nettoyer la vitrine, en attendant que les rayons soient approvisionnés :
– la rationalisation de la gouvernance et le renforcement des réformes structurelles;
– le développement du système logistique et du transport multimodal;
– le développement des systèmes du transport intelligent;
– la modernisation de l’infrastructure de base et des équipements et la garantie de leur pérennité;
– l’amélioration de la productivité et l’abaissement du coût du transport, en l’ouvrant à la concurrence;
– le désenclavement des régions et le relèvement de la participation des services de transport à l’effort de développement;
– la recherche de ressources financières durables et innovatrices;
– l’amélioration de l’efficacité énergétique du secteur du transport et l’instauration du transport vert;
– le renforcement des compétences et la promotion des systèmes de formation;
– et patati et patata…
Comme les ministres font souvent de l’humour sans le savoir, ils ont cru devoir souligner, lors de leur conseil ministériel (CM), la nécessité d’accélérer la restructuration des entreprises publiques qui rencontrent des problèmes et de mettre en place des contrats-programmes sur le court terme (2023-2025), en vue de rétablir le rythme normal de l’activité, d’améliorer la qualité de services et de maîtriser le coût. Et le CM d’appeler aussi à accélérer l’actualisation du cadre juridique et réglementaire organisant les différentes activités de transport et de logistique, en vue de s’adapter aux évolutions enregistrées sur le plan international, tout en axant sur la préservation de l’environnement, l’amélioration des fondements de la sécurité, le développement de la qualité et l’adoption des nouvelles technologies.
Ils savent tout mais ne font rien
Reste une question, et elle est de taille, que ne se posent pas nos chers ministres, qui se contentent souvent d’appeler à…, qu’est-ce qui les empêche de passer aussitôt à l’acte ? Ne sont-ce pas eux qui sont «appelés» à réaliser ces projets dont ils nous rebattent sans cesse les oreilles sans qu’on en voit ne fut-ce qu’un début de réalisation.
Les rares projets actuellement en cours de finalisation, comme celui du Réseau ferroviaire rapide (RFR) de Tunis, remontent aux années 1990 et ont été mis en œuvre sous le règne de Ben Ali. Depuis 2011, on n’a fait, en réalité, qu’en retarder la réalisation par une bureaucratie aussi tatillonne qu’inefficace.
Il y a aussi une autre question qu’on aimerait aussi poser à nos chers ministres qui savent tout mais ne font rien : quand estiment-ils pouvoir commencer à mettre en œuvre ce plan si séduisant sur le papier ? Ou est-ce seulement destiné à occuper l’opinion et à la faire rêver de méga projets délirants et complètement déconnectés des réalités du pays, comme celui du fameux TGV reliant Bizerte, au nord, et Ben Guerdane, au sud, que le président Kaïs Saïed, dont on appréciera l’humour involontaire, ne cesse de nous faire miroiter en posant devant l’Histoire et en tutoyant l’Eternité ?
C’est là, on l’a compris, le drame de ce pays : il est trahi par ses élites dirigeantes dont la suffisance n’a d’égal que l’incompétence. Il est trahi aussi par son peuple qui avale les couleuvres avec un insatiable appétit. Et sur ce chapitre, au moins, on peut dire qu’il est largement servi…
A bon entendeur…
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