L’école tunisienne entre échec et espérance

Dans cette «Lettre ouverte à monsieur le ministre de l’Education», l’auteur évoque le cas de sa fille qui, pour un comportement irrespectueux à l’égard de son professeur, a été renvoyée de son établissement scolaire, sanction qu’il juge disproportionnée, injuste, radicale et extrémiste.   

Par Raouf Sayah *

Monsieur le ministre,

Je m’adresse à vous, avec déférence, pour vous faire part de mon indignation face à l’injustice que vient de subir mon enfant de treize ans, et par ricochet toute ma famille. D’abord, je suis un  bon père de famille qui veille, mordicus, à l’éducation de ses enfants, et qui rêve somme toute de voir sa progéniture, un jour, gravir les échelons de la société.

Sauf que mon rêve vient d’être contrarié. Ma fille vient de subir l’une des plus grandes injustices, celle d’être privée de continuer ses études. Elle fut renvoyée de son établissement scolaire. Ce renvoi pour nous, ses parents, a sonné plus qu’une injustice, mais plutôt comme un coup de massue qui nous a tous anéantis. D’autant plus que faisant partie de la classe moyenne, l’école  demeure, dans l’imaginaire collectif de nos semblables, l’unique et seul ascenseur social.

Sanction disproportionnée

Les faits. Mon enfant a osé sortir son téléphone portable en plein cours. Le professeur lui intima l’ordre de le cacher. Ce qui ne fut pas fait correctement. Le professeur a donc pris le téléphone des mains de son élève et le rangea dans son cartable tout en lui demandant de quitter illico presto la classe. Se sentant humiliée, l’élève nargua le professeur et alla chercher ce même téléphone dans le cartable de ce dernier.

Quelques jours après, le directeur de l’établissement scolaire m’invita à son bureau. Je m’attendais à une remontrance ou à une réprimande à l’égard de ma fille pour l’infraction qu’elle avait commise et pour son irrespect à l’égard du règlement interne de l’école, au pire à un renvoi de quelques jours.

Sauf qu’elle fut ma consternation quand j’ai appris que l’administration, suite à une pétition signée par tous les enseignants de cette même école, a pris la décision irrévocable de la renvoyer définitivement de l’établissement scolaire. Il semble bien que l’émoi suscité par la série ramadanesque ‘Fallujah’’ au sein du corps enseignant a pesé de tout son poids dans la radicalisation d’une telle décision.

Etant conscient du comportement irrévérencieux de mon enfant, j’ai jugé bon qu’elle doit être sévèrement punie. J’en suis conscient. Je l’avoue. Et j’en consens. Sauf que je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit définitivement renvoyée.

Dans une tentative d’appeler à savoir raison garder quant à la disproportionnalité de cette décision, j’ai présenté des excuses en lieu et place de ma fille. Mais en vain, on s’est obstiné à maintenir la même sanction. Nous sommes à quelques semaines de la fin de l’année.

Brisée pour la vie

Que faire ?

Suite à cette sentence, mon enfant reçut un choc des plus violents, d’autant plus qu’elle a été tout au long de l’année une bonne élève. Elle s’est repliée sur elle-même, refuse de manger et de parler à qui que ce soi.

Je me suis alors orienté vers la délégation régionale dans l’ultime espoir de trouver une issue.

Hélas, j’ai été finalement tourné en bourrique.

Monsieur le ministre de l’Education nationale, mon enfant a commis une erreur. Elle mérite d’être corrigée, certes, mais pas d’être brisée pour la vie.

Il va sans dire que la décision de la renvoyer définitivement de son établissement scolaire n’est pas une correction à proprement parler, mais plutôt une destruction insensée, inhumaine, et sans fondement aucun.

Monsieur le ministre, nous sommes en 2023, et nos établissements sont défaillants à plus d’un titre. De lieux d’épanouissement, d’échange, elles sont devenues des terrains de haine, de pugilat et de conflits entre professeurs, élèves et administration. La rétention des notes en est un exemple.

A-t-on oublié que l’école non seulement est censée être le lieu où on se doit de faire l’apprentissage du savoir et des connaissances, mais aussi des règles de bienséance, des valeurs de citoyenneté, et celles de la tolérance et du pardon. Ce qu’on vient d’apprendre à ma fille à travers pareille sanction c’est l’intolérance, et même l’extrémisme et la radicalité.

Monsieur le ministre, on n’aurait pas été des parents ayant fait des études universitaires et ayant su entourer notre fille de sollicitude face à cette grande injustice qu’elle vient de subir, elle aurait choisi le suicide comme échappatoire. Hélas, les exemples sont légion ces dernières années.

Bouteille à la mer

On aurait été sous d’autres cieux, le problème aurait été résolu différemment. Un psychologue aurait intervenu pour d’abord comprendre ce qui se passe dans la tête d’un enfant de 13 ans et intervenir savamment pour résoudre le conflit entre élèves, professeurs et parents. Mais malheureusement on est très loin de ce cas de figure.

Monsieur le ministre, je vous adresse cette lettre comme on jette une bouteille à la mer. Le but étant que nous réfléchissions tous ensemble, ministère, politiques, pédagogues, éducateurs et parents, sur l’école en tant qu’institution. Celle-ci ne doit absolument pas être pourvoyeuse d’échecs – cent mille cas de décrochage scolaire chaque année – mais plutôt d’espérance. Elle doit permettre à tous nos enfants d’où ils viennent de prendre équitablement l’ascenseur social.

Enfin, je finirai par citer un proverbe africain qui dit : «L’enfant qui n’est pas embrassé par le village le brûlera pour sentir la chaleur»

* Cadre à la Cité des Sciences à Tunis.

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