Tunisie : l’éducation nationale face au fléau des cours particuliers

La rentrée scolaire bat son plein avec son lot de promesses et de frustrations ! Et l’inévitable question des cours particuliers refait surface avec la promesse du ministre de l’Education d’éradiquer ce phénomène, la même que ses prédécesseurs avaient fait sans parvenir à la tenir.

Par Raouf Laroussi *

En fait les cours particuliers (CP) sont devenus, depuis quelques années, le pendant incontournable d’un système éducatif en perdition. Et ça commence de plus en plus tôt. Tenez-vous bien ! Dès la première année du primaire, c’est-à-dire quand l’enfant pense plus à jouer qu’à savoir quelle note lui a été attribuée à chacune de la vingtaine de matières qu’on est censé lui avoir enseigné.

Non, ne vous pincez pas ! Ce n’est pas un cauchemar. C’est le système éducatif tunisien où pour éviter, ou remédier, aux mauvaises notes, on a recours aux CP, même pour des enfants de 6, 7 ou 8 ans.

Ce phénomène se poursuit tout le long de la scolarité de l’élève et atteint son point culminant à l’approche du baccalauréat. Et là, ça devient beaucoup plus sérieux et plus couteux. Et si les professeurs de maths et de physique sont les stars de système, d’autres matières commencent aussi à briller dans le ciel obscur de cette ignorance des véritables ressorts du succès. Ainsi, on trouve maintenant même des cours particuliers de philosophie ! Plus grave encore, l’addiction aux cours particuliers accompagne certains à leur passage à l’université. Il arrive même que des étudiants dans des universités «renommées» s’y résolvent …

Pourquoi la ruée vers les CP

C’est là la question clé. Je donne pêle-mêle les raisons possibles et à vous de les démêler! Sachant qu’il peut y avoir une conjonction de deux raisons ou plus ! Je mettrais en premier lieu l’attachement viscéral du Tunisien au succès scolaire de ses enfants. Sans disposer de statistiques dans ce sens, on peut avancer sans beaucoup de risques de se tromper que plus de 80% des Tunisiens considèrent que le succès scolaire de leurs enfants est leur première priorité et qu’ils sont prêts à tous les sacrifices pour les voir réussir et se distinguer. D’où leur prédisposition à leur offrir des CP, croyant ainsi garantir l’objectif visé.

À cet appel des parents répond le besoin d’enseignants dont les salaires sont insuffisants et qui trouvent dans les CP la solution idoine pour améliorer leurs revenus.

Outre ces deux raisons principales, il y en d’autres comme le système de l’orientation pour la poursuite des études universitaires dans les établissements publics de l’enseignement supérieur. En fait, ce système est basé essentiellement sur les moyennes obtenues au bac et au cours de la dernière année de l’enseignement secondaire. Pour pouvoir atteindre les filières les plus prisées comme la médecine, les écoles d’ingénieur ou d’architecture ou encore certaines écoles de commerce renommées, il faut avoir de bonnes notes dans certaines matières. Ce qui pousse les élèves vers les CP…

Les méfaits des CP

Le ministre de l’Education vient de donner des chiffres alarmant sur l’abandon scolaire et des pourcentages encore plus alarmants sur le niveau des élèves à la fin de l’école de base puisqu’il dit que 75% d’entre eux sont quasiment analphabètes. Analphabètes après 9 ans d’école ! Et l’on sait, par ailleurs, quel est le niveau catastrophique en compréhension des problèmes mathématiques des élèves d’environ 15 ans (c’est-à-dire après l’école de base) mesuré par le programme européen Pisa(*), dont la Tunisie s’est retirée par décision du ministre de l’Education en 2018. C’est ce niveau catastrophique qui a poussé le ministre à ne plus soumettre notre système éducatif à l’évaluation Pisa sous le prétexte que cela n’avait servi à rien comme si le thermomètre servait à baisser la fièvre !

En fait, les pauvres parents trouvent dans les CP l’illusion d’améliorer et le niveau et les notes d’élèves à qui l’école n’est plus capable de fournir le minimum de connaissances requis.

Concrètement, l’effet bénéfique sur le niveau des élèves est très discutable. On peut même avancer que son effet négatif dépasse de loin ses bénéfices. Et ce surtout du point de vue psychologique.

En effet, le recours aux CP tue chez l’apprenant son aptitude à apprendre par lui-même, à identifier et à chercher l’information dont il a besoin, à affronter les difficultés de résolution d’un problème jusqu’à la délivrance par l’atteinte de la solution. Il tue tout le plaisir d’apprendre par soi-même, de comprendre des problèmes et de les résoudre. Il crée des assistés. Des êtres diminués.

Que faire ?

On ne doit jamais exposer un problème sans proposer des solutions ! Hélas, les solutions de ce problème des CP ne peuvent être proposées sans les placer dans le contexte général de la réforme du système éducatif qui les a générés. En fait, ils sont l’une des manifestations du mal qui gangrène ce système. Et l’on peut parier que les CP disparaîtront d’eux-mêmes dès que l’éducation nationale montrera des signes de redressement. Et il est urgent de se mettre à l’ouvrage.

Les principaux axes de la réforme touchent aux conditions matérielles de l’apprentissage (état délabré de la plupart des écoles et lycées, manque d’équipements pédagogiques, etc.), au faible niveau des enseignants issus d’un système lui-même délabré (formations spécifiques, critères de recrutement, etc.), aux contenus obsolètes et pédagogiquement dépassés et à l’environnement général du système éducatif (engagement des parents, apport des médias, accompagnement social, etc.)

Bref, c’est tout un chantier dont on parle depuis au moins une vingtaine d’années avec un grand renfort de rapports, d’études et de promesses, mais qui continue de faire du surplace.

* Universitaire.

** Programme for International Student Assessment est un ensemble d’études menées tous les trois ans par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) visant à mesurer les performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres. La Tunisie a adhéré à cette évaluation avant la décision, en 2018, du ministre de l’éducation de s’en retirer.

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