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Pourquoi la Sonede doit-elle être auditée ? (Partie 1)


Cet article présente les raisons qui justifient l’audit de la Société nationale d’exploitation et de distribution d’eau (Sonede).

Par Dr Raoudha Gafrej *

Ces raisons sont les suivantes: la Sonede est un gros consommateur d’eau; le décret 2002-335 du 14 février 2002 oblige les gros consommateurs au diagnostic de leurs systèmes d’eau; les ressources et les besoins sous haut risque climatique; les fortes dépendances régionales et des eaux du Nord; la Medjerda est un bassin fortement pollué et sa ressource menacée; l’inadéquation des nouvelles mobilisations des eaux; l’eau gaspillée, celle de l’extrême Nord, est un trésor perdu; et la gestion défaillante exigeant un audit des systèmes d’eau.

Une situation alarmante

Compte tenu de la masse des informations fournies, l’article est publié en deux parties successives.

Sur la base des statistiques de la Sonede sur la période de 2010 à 2015 comme présenté sur la figure ci-dessous, la population desservie par la société a évolué de 8%; le volume consommé et facturé à la population desservie a évolué de 10% sur la même période.

Par contre, le volume prélevé au milieu naturel a évolué de 24% et les pertes réelles (ou physiques) ont évolué de 67% sur la même période. Ces dernières représentent le volume des pertes d’eau effectives du service jusqu’au compteur de l’abonné. Elles couvrent tous les types de fuites (conduites, branchements), ruptures de conduites, débordements de réservoirs, etc.

En considérant l’année 2015, les pertes physiques représentent 25% du volume d’eau brute prélevé au milieu naturel et l’équivalent de 38% du volume consommé et facturé. La productivité de l’eau brute est faible puisque 1000 litres d’eau brute produit seulement 649 litres d’eau potable consommé et facturé. En d’autres termes, pour fournir un m3 d’eau au robinet, il faut soutirer au milieu naturel 1,542 m3 d’eau brute.

Le volume non facturé (mesuré ou non) qui correspond au volume des saumures des stations de dessalement des eaux saumâtres, à l’eau gratuite fournie à Zaghouan, ainsi que les volumes de lavage des stations, de rinçage des conduites, de vidange des conduites, pour la lutte contre les incendies (non muni de compteurs) et le volume dégrevé aux abonnés qui représente 8,6%; ce qui dénote un manque de moyens de comptage au niveau des ouvrages de distribution et donc un faible degré de précision sur le rendement des réseaux.

De ce fait, on ne peut évaluer que les pertes globales des réseaux (par rapport au volume consommé et facturé) qui sont évoluées à 37,3% en 2010 et à 54,2% en 2015.

Ce constat est alarmant. Si l’on maintient les mêmes hypothèses d’évolution sur la période de 2015 à 2020, les pertes physiques seraient de 277,387 millions de m3; ce qui nécessitera un volume global à prélever du milieu naturel de 832 millions de m3, pour produire 479 millions de m3 d’eau consommée et facturée. Et cela sans considérer une relance des secteurs industriel et touristique qui ont vu leurs consommations baisser de 14,3% pour l’industrie et de 31,3% pour le tourisme entre 2010 et 2015 (tableau ci-dessous). Ces baisses sont probablement expliquées par le fait qu’une partie des besoins de ces secteurs provient directement des nappes profondes à raison de 39,29 millions de m3 et 2,41 millions de m3 pou le secteur industriel et touristique respectivement(1).

Ni la capacité actuelle des réseaux, ni la disponibilité d’eau de surface, ni le dessalement d’eau de mer, dont le potentiel à l’horizon 2020 est estimé à 75 millions de m3/an, ne pourront satisfaire les besoins en eau potable si de nouvelles mesures ne sont pas envisagées et que seul le diagnostic technique des systèmes d’eau pourra développer.

Des ressources et des besoins en eau sous haut risque climatique

Les besoins en eau de la Sonede sont satisfaits à partir des eaux de surface, à hauteur de 58% en 2015 avec une évolution de 2% entre 2010 et 2015. Entre 2010 et 2015, le volume d’eau de surface a augmenté de 28%.

Cela témoigne de la fragilité de la satisfaction des besoins en eau potable en cas de baisse de la pluviométrie, de l’augmentation des températures (donc augmentation de l’évaporation et des besoins en eau) ainsi que l’augmentation des périodes extrêmes (sécheresses et inondations) telle qu’anticipées par les projections climatiques développées par l’Institut national de la météorologie (INM) en 2016. Les observations vécues ces dernières années confirment ces projections. A titre d’exemple, l’évaporation au niveau des barrages Lebna et Sidi El-Barrak a augmenté pour atteindre 6 millions de m3 et 50 millions de m3 respectivement.

Fortes dépendances régionales et des eaux du Nord

Le barrage Sidi Salem fournit 74% des besoins en eau de la Sonede, suivi de Kesseb (8%), de Béni Mtir (8%), du barrage Sejnane/Joumine (6%), du barrage Masri (3%). La contribution des barrages Nebhana/Lebna n’est que de 1%. Attribuer les coupures d’eau de l’été 2016 au barrage Nebhana c’est occulter les vrais problèmes de gestion de la ressource (cf. figure ci-dessous).

Cette évaluation fait ressortir la fragilité de tous les systèmes d’eau alimentés en eau de surface à partir du barrage Sidi Salem et donc le risque majeur en cas de baisse de la pluviométrie ou de sécheresse.

Sécuriser l’alimentation en eau potable de toutes les localités qui dépendent en grande partie des eaux de surface en provenance des eaux du Nord et plus particulièrement du barrage Sidi Salem est une priorité absolue.

Pour mieux comprendre les risques majeurs de non satisfaction de l’alimentation en eau potable qui seraient prévisibles l’année en cours, il faudra comprendre comment les régions sont alimentées en eau.

Le Grand-Tunis est alimenté en provenance des eaux de surface à raison de 99% et eau souterraine à raison de 1%. L’eau de surface est achetée à la Société d’exploitation du canal des eaux du nord (Secadenord); elle viendrait essentiellement du barrage Sidi Salem (173,6 millions de m3 en 2015) à travers le canal Medjerda-Cap Bon et les deux barrages gérés par la Sonede : Béni M’tir et Kesseb.

Les risques de coupure d’eau inéluctables sur le Grand-Tunis pourraient entraver d’autres localités qui sont alimentées par ce même système, comme la partie Sud du Cap Bon et les localités traversées par les conduites.

Le Nord du pays est alimenté à hauteur 52,8% en eau de surface et 47,2% en eau souterraine des sources locales. Les eaux de surface sont achetées à la Secadenord, en provenance des barrages de Sidi Salem, Joumine, Sejnane, Lebna et Masri.

Le Nord-Ouest est alimenté par les barrages de la Sonede: Béni Mtir et Kesseb sur la conduite en direction du Grand-Tunis.

Le Centre du pays est alimenté à hauteur de 60,4% en eau de surface et 39,6% en eau souterraine. Les eaux de surface proviennent des eaux du Nord (Barrage Sidi Salem et Sejnane/Joumine), barrages Lebna et Masri ainsi que du barrage Nebhana.

Le Sud est alimenté à hauteur de 15,9% en eau de surface et 84,1% en eau souterraine. Les eaux de surface alimentent essentiellement la ville de Sfax, en provenance des eaux du Nord. Kerkennah étant alimentée par une station de dessalement qui sera renforcée par une nouvelle station de dessalement d’eau de mer.

La figure ci-dessous montre la dépendance de plus en plus des eaux du Nord pour la satisfaction des besoins en eau potable.

La restriction de l’irrigation des cultures maraîchères, imposée cette année aux agriculteurs sans mise en place de mesures d’accompagnement, sera à l’origine sans doute d’une surexploitation des nappes souterraines, des raccordements illicites sur les conduites d’eau potable et encore plus grave le recours à l’utilisation des eaux usées brutes et le dessalement d’eau saumâtre; engendrant des risques sanitaires et des pollutions environnementales irréversibles.

Quant aux stations de dessalement d’eau de mer, celle de Djerba et les 15 stations mobiles programmées d’urgence à Sousse, même si elles seront fonctionnelles cet été (improbable à mon avis), leurs volumes ne couvrent même pas 10% du volume fourni actuellement par le barrage Sidi Salem.

Les stations de dessalement d’eau saumâtres prévues par le programme national d’amélioration de la qualité (PNAQ2) ne constituent pas un volume d’eau supplémentaire puisqu’elles sont prévues pour l’amélioration de la qualité des eaux potables.

* Expert en audit des systèmes d’eau, enseignant-chercheur.

Note :

1) Annuaire des nappes profondes de la DGRE, 2015.

 

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