Ecartée du jeu politique par le président de la république Kaïs Saïed, au lendemain de la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a du mal à exister de nouveau et à reprendre sa place au milieu de l’échiquier national tunisien.
Par Hssan Briki
Lors du congrès ordinaire de l’Union générale des municipalités qui s’est tenu à Hammamet, dimanche 27 août 2023, Noureddine Tabboubi, secrétaire général de la centrale syndicale, a souligné le rôle crucial de l’organisation fondée par Farhat Hached et annoncé «son retour au combat» aux côtés d’un peuple qui, selon lui, se sent «étouffé, démotivé, perdu et s’interrogeant sur l’avenir».
Taboubi, dont l’organisation a soutenu le changement initié par le président Saïed le 25 juillet 2021, cherche aujourd’hui à se justifier après la dérive autoritaire de ce dernier et l’aggravation de la crise dans le pays. Comment sortir de cette impasse? «Il est grand temps que chacun assume sa responsabilité historique», a-t-il lancé, comme pour secouer ses troupes de leur torpeur.
A la recherche d’un rôle
Taboubi met en avant l’impératif d’un dialogue national rassemblant l’ensemble des acteurs politiques. S’adressant à Saïed, il souligne sa responsabilité en tant que président élu qui est de prêter une oreille attentive à toutes les parties prenantes. Il doit aussi s’atteler à trouver des solutions aux nombreux problèmes qui secouent actuellement le pays.
Dans cette perspective, Taboubi insiste sur l’urgence pour le pouvoir en place et l’opposition de faire abstraction de leurs divergences. Leur mission commune serait d’entamer des négociations constructives pour préserver l’intérêt national et répondre aux aspirations profondes du peuple.
Il est important de rappeler que ce même appel avait déjà été lancé il y a plus de deux ans, en 2020. À cette époque, l’UGTT avait manifesté son désir de mettre sur pied un dialogue national sous l’égide du président Saïed nouvellement élu. Ce dernier s’était d’abord montré hésitant, refusant de s’engager dans un dialogue avec aucune des forces politiques en place, étant opposé aux corps intermédiaires, y compris les partis, et soucieux de consolider son pouvoir qui lui était alors disputé par l’Assemblée et le Gouvernement. Mais dès qu’il a consolidé son emprise sur le pouvoir, le 25 juillet 2021, il a rejeté clairement toute idée de dialogue. Car une telle approche consensuelle est en nette contradiction avec sa doctrine politique, qui repose principalement sur l’autogouvernance directe du peuple, excluant ainsi toute médiation par le biais de corps intermédiaires (partis, organisations civiles, médias…).
Par ailleurs, le mépris que Saïed voue aux élites politiques, économiques, universitaires, médiatiques et autres, n’a d’égal que sa soif de pouvoir qu’il veut personnel et autoritaire. C’est pourquoi d’ailleurs il a œuvré depuis 2021 à réformer le système politique, à imposer une constitution qui attribue la totalité des pouvoirs au président de la république, tout en marginalisant le parlement, le gouvernement, les partis et les organisations nationales, y compris, bien entendu, l’UGTT, qui s’est très vite retrouvée dans le collimateur de la présidence de la république.
A la croisée des chemins
Traversée elle-même par des divergences internes, suite à son dernier congrès au cours duquel la direction actuelle à changé le règlement interne pour prolonger indéfiniment son mandat, la centrale syndicale a choisi de couper les ponts avec les partis. Ses dirigeants se sont d’ailleurs distingués, au cours des deux dernières années, par leur absence lors des manifestations organisées par les partis, adoptant souvent des positions ambiguës où se lit une volonté de ne pas s’aliéner le président de la république, quitte à tourner le dos à certains de ses fondamentaux, notamment le soutien aux luttes populaires.
Il faut dire que l’UGTT était elle-même – et est encore – divisée sur la position à tenir vis-à-vis du président Saïed et de ses opposants. Certains de ses membres soutiennent inconditionnellement le processus du 25-Juillet, le considérant comme une réponse nécessaire à la crise politique qui secoue le pays. En revanche, d’autres critiquent ce qu’ils perçoivent comme une dérive autoritaire du président Saïed et appellent à préserver les institutions démocratiques sérieusement menacées par le pouvoir personnel de ce dernier.
Coincée dans cette dernière séquence où se lisent beaucoup d’hésitation et d’indécision, l’UGTT a du mal à faire entendre sa voix et encore moins à reprendre la place qui était la sienne au cœur de l’échiquier national lorsqu’elle a reçu, en 2015, le Prix Nobel de la Paix pour avoir contribué, avec trois autres organisations nationales (l’Ordre des avocats, la Ligue des droits de l’homme, et l’Utica, la centrale patronale) au dialogue national ayant évité au pays de sombrer dans la violence et la guerre civile.
Ce temps glorieux, qui semble lointain, est peut-être aussi révolu.
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