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Sauver la Tunisie des crocs de Daêch

Tunisie-Terrorisme

Les Occidentaux ne peuvent pas se permettre d’attendre que le drapeau noir de Daêch soit planté sur le fronton du palais présidentiel de Carthage pour réagir.

Par Mustapha Tlili*

«Qui a perdu la Tunisie?» Un jour, cette question pourrait bien hanter les futurs dirigeants européens. Ainsi qu’a mis en garde récemment Hervé Morin, l’ancien ministre français de la Défense, l’Europe – et plus particulièrement la France – ne peut pas se permettre d’attendre que le drapeau noir de l’Etat islamique (EI, Daêch) soit planté sur le fronton du Palais présidentiel de Carthage pour réagir.

Hélas, ce sinistre scénario ne peut être écarté d’un revers de main, comme s’il s’agissait d’une exagération alarmiste. Quelques semaines après le massacre du musée national du Bardo, en mars dernier, un djihadiste (Seifeddine Rezgui, Ndlr) a frappé une nouvelle fois en juin, et cette fois-ci cela s’est passé à Sousse, une destination touristique tunisienne très populaire, tuant ainsi près d’une quarantaine de visiteurs européens. L’objectif tout déclaré de cette attaque était de porter un coup fatal à l’industrie touristique tunisienne, déstabiliser l’économie du pays et ébranler le nouvel Etat démocratique.

L’Europe et au-delà du Vieux continent

La tuerie de Sousse a, de toute évidence, démontré l’incapacité des autorités tunisiennes à relever les défis sécuritaires croissants auxquels le pays est confronté. La réussite de transition démocratique en Tunisie, la légitimité de son gouvernement et le courage dont font preuve chaque jour ses forces armées ne sont pas suffisants pour lui permettre de se tirer d’affaire. Que l’Europe et l’Occident se le tiennent pour dit: le mouvement jihadiste ne finira pas par disparaître de lui-même.

A partir de leur nouveau théâtre d’opération, les terroristes nourrissent le dessein d’étendre leur califat jusqu’en Europe et bien au-delà du Vieux continent. Ceci est un projet clairement affiché par les dirigeants de l’Etat islamique. Dans un enregistrement vidéo que le mouvement a fait circuler sur la toile, en février dernier, lors de l’exécution sauvage de 21 chrétiens coptes égyptiens sur une plage libyenne, un chef de l’EI scrute du regard l’horizon méditerranéen et, évoquant dans un arabe classique fleuri les batailles à venir que son mouvement mènera en Europe, il n’a pas hésité à comparer ce combat à ce que furent les premiers coups de boutoir de l’islam contre Rome.

L’instabilité en Libye, au lendemain de la chute du régime de Mouammar Kadhafi, a transformé ce pays, voisin immédiat de la Tunisie sur son flanc oriental, en un vaste camp d’entraînement et un gigantesque bazar d’armements en tous genres pour les terroristes islamistes de tous bords.

L’Etat islamique, en tant que groupe le plus barbare, le plus déterminé et le plus messianique d’entre tous, a gagné bien du terrain sur le sol libyen. Béji Caïd Essebsi, le nouveau président tunisien, est bien conscient des dangers mortels qui guettent son pays, depuis l’attentat terroriste de Sousse. En décidant, le mois dernier, d’instaurer de nouveau l’état d’urgence, il a averti qu’une nouvelle attaque terroriste (de la gravité de celle menée à Sousse, le 26 juin dernier, Ndlr) mènerait l’Etat tunisien tout droit vers l’effondrement.

La vulnérabilité de la Tunisie puise ses racines dans l’ère postcoloniale. Habib Bourguiba, le premier président au lendemain de l’indépendance en 1956, souhaitait ardemment moderniser le pays, mais il était, dans le même temps, obsédé par la hantise des putschs militaires qui étaient monnaie courante à l’époque, dans de nombreux autres pays de la région. Ainsi, il avait entrepris de miser le plus gros du budget de l’Etat sur l’éducation et avait privé l’armée tunisienne des ressources dont elle avait besoin. Son successeur, Zine el-Abidine Ben Ali, n’a fait qu’emprunter la même voie mais, à mesure que sa direction des affaires du pays est devenue dictatoriale, il a créé une force de police forte.

Le danger est également interne

Par conséquent, après la révolution de 2011 qui a déposé M. Ben Ali, la Tunisie a hérité d’une police discréditée et d’une petite armée qui, bien qu’étant professionnelle, manquait de moyens financiers et était, du coup, mal équipée. La police tunisienne a été, dans une large mesure, démantelée par les nouvelles autorités tunisiennes et elle mettra du temps avant d’être de nouveau reformée.

La Tunisie fait également face à un danger interne très sérieux. Après plusieurs décennies de répression, la jeunesse tunisienne est confrontée aux maux du chômage élevé et des perspectives peu réjouissantes; certains d’entre les jeunes tunisiens ont facilement cédé à la tentation jihadiste rendue possible par les campagnes de recrutement via les réseaux sociaux et le prosélytisme de prédicateurs salafistes de la région du golfe Persique. Le résultat est là: pas moins de 3000 Tunisiens ont rejoint les rangs de la guerre civile en Syrie et des centaines d’autres jeunes se battent aujourd’hui en Libye. Certains de ces activistes reviennent en Tunisie pour faire des ravages – ainsi qu’il a été le cas au musée du Bardo et à Sousse.

La situation est certes précaire, mais si l’on se fie aux résultats d’un sondage d’opinion récent, il y a plus d’une raison d’être optimiste: plus 75% des citoyens tunisiens approuvent la manière dont la coalition gouvernementale gère la crise que traverse le pays. En outre, il y a un solide consensus autour des nouvelles mesures d’urgence, telles que la reprise en main d’un certain nombre de mosquées qui étaient sous la coupe d’imams salafistes, les restrictions de voyage dans certains pays du Moyen Orient imposées aux jeunes et l’adoption d’une nouvelle loi anti-terroriste par une confortable majorité parlementaire (…)

Or, la Tunisie a été prise au dépourvu et elle est mal préparée pour faire front à la menace fanatique. A la suite de sa rencontre avec M. Caïd Essebsi à Washington, le président Obama s’est clairement engagé à soutenir la Tunisie en lui conférant le statut d’«allié majeur» (non-membre de l’Otan, Ndlr). Les Etats-Unis fournissaient déjà une assistance militaire à la Tunisie, mais M. Caïd Essebsi avait insisté que son pays avait besoin d’une plus grande aide économique. «Nos amis se doivent de nous aider, mais nous souhaitons qu’il y ait une coopération plus forte entre nous», a-t-il expliqué.

Cameron, Hollande et Merkel ensemble en Tunisie

Le Conseil européen a récemment réaffirmé son soutien à la jeune démocratie tunisienne et, au lendemain de l’attentat de Sousse, le Premier ministre britannique David Cameron a promis à la Tunisie un «éventail complet» d’aide antiterroriste. Pour des raisons géopolitiques et historiques évidentes, l’Europe est plus étroitement liée à la Tunisie que les Etats-Unis ne pourront jamais l’être. Les dirigeants européens devraient emboîter le pas aux Américains.

Afin d’empêcher que l’Etat islamique ne fasse de la Tunisie une tête-de-pont à partir de laquelle il pourra mener ses attaques contre l’Europe, M. Cameron, autant que le président français François Hollande et la chancelière Angela Merkel devraient faire ensemble un déplacement en Tunisie. De façon à fournir à l’armée tunisienne et à sa police réorganisée une plus grande aide qui permettra à ces dernières de mener leur lutte pour la reprise du contrôle de leur pays, les puissances européennes devront offrir à la Tunisie un engament sécuritaire comprenant un accès libre aux armements, la formation militaire et au partage de renseignements.

Etant donné que les Etats-Unis ont désigné la Tunisie comme «allié majeur», pourquoi ne pas l’inviter à devenir «pays aspirant» à un siège de membre à part entière de l’Otan sur la base de valeurs démocratiques partagées et d’intérêts sécuritaires communs? Ces valeurs et ces intérêts sont, après tout, en opposition diamétrale à ceux de l’Etat islamique et autres groupes appartenant à la même mouvance idéologique.

L’Europe a fortement intérêt à ce que la Tunisie soit un pays sûr et démocratique et elle doit en donner la preuve en volant à son secours et l’aider. C’est seulement en agissant de la sorte que nous tous serons assurés que la question de savoir «qui a perdu la Tunisie» ne sera jamais posée.

Traduit de l’anglais par Moncef Dhambri

Source: ‘‘New York Times’’.

*Mustapha Tlili, écrivain et fondateur-administrateur émérite du Centre pour les dialogues de l’Université de New York, est un membre distingué de l’Institut Est-Ouest, basé à New York.
Nous lui avons publié, en avril dernier, une tribune dans le ‘New York Times’ intitulée «Les temps sont difficiles pour la Tunisie» dans laquelle il réagissait à l’attaque contre le musée du Bardo.

**Le titre est de l’auteur et les intertitres sont de la rédaction.

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