L’économie tunisienne peut être résumée en une formule simple : obtenir des prêts extérieurs pour financer… la fraude fiscale et l’évasion de capitaux.
Par Mohamed Chawki Abid*
Notre trésorier (Slim Chaker, ministre des Finances, NDLR) brille par l’émission d’affirmations hypothétiques, surtout quand son interviewer ne lui demande pas de justificatifs. Depuis son parachutage au palais des finances, il n’arrive pas à maîtriser ses dossiers ni à contrôler ses propos en débitant de temps à autres des annonces extravagantes qu’il renie quelques jours après sur les sujets suivants:
– reprise des investissements directs extérieurs ;
– équité fiscale atteignable à court terme ;
– lutte contre l’évasion fiscale et la fraude douanière ;
– baisse des prix à la pompe et officialisation d’une indexation ;
– combat direct de l’économie souterraine ;
– poursuite judiciaire des trafiquants de devises ;
– reprise de la croissance en 2016 (loi de finances 2016: 2,5%) ;
– baisse des droits de douanes pour contenir la contrebande ;
– baisse de l’endettement extérieur ; etc.
Finances extérieurs : l’endettement au service des affairistes
Concernant l’endettement extérieur, tous les citoyens savent bien que, depuis l’installation de nos députés à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), ils n’ont promulgué que la loi anti-terrorisme et la loi de finances complémentaire, pour consommer le reste de leur temps parlementaire à la ratification de multiples conventions de prêts (bilatérales ou multilatérales).
«Grand ouf de soulagement poussé par les argentiers de l’Etat tunisien!», disait, il y a quelques jours, un brillant journaliste suite à l’annonce du déblocage d’une nouvelle tranche du prêt FMI (302 M² US$), portant ainsi l’encours du tirage à 1,4 milliards $US pour une enveloppe totale de 1,7 milliards dollars.
Hier, un youyou de joie a été poussé suite à l’annonce par la Banque Mondiale d’un nouveau ticket de 500 M² US$, pour lequel les chefs argentiers de l’Etat se sont félicités d’avoir réussi à convaincre les IBW pour un énième crédit de consommation.
Naturellement nos «très souverainistes» députés vont entériner ce contrat comme une lettre à la poste, dans la mesure où le court terme est leur horizon et le courtage avec les affairistes se trouve au centre de leur préoccupation.
Les commentaires des médias confirment une autre fois que la plupart de nos journalistes ont beaucoup de progrès à faire en dissertation économique et en analyse financière. «Recourir à la dette extérieure pour nourrir les postes du budget de fonctionnement» devrait être l’un des principaux modules à dispenser à nos chers journalistes.
Les fonds vautours sont très satisfaits d’avoir placé des crédits «hypothécaires», et le gouvernement des pantins est tout content d’avoir obtenu des prêts extérieurs pour «financer la fraude fiscale et l’évasion de capitaux». Quant à la «soutenabilité» de la dette extérieure, nos princes considèrent qu’il s’agisse d’un débat non à l’ordre du jour, qui ne préoccupe que la génération future.
Le ministre des Finances auditionné par la commission des finances de l’Assemblée.
Finances publiques : Les trafiquants ont le vent en poupe
Pour ce qui est du combat de la contrebande, le locataire du palais des finances croit que «l’astuce» de réduction tarifaire sur les marchandises importées permettra de contenir l’économie souterraine et de la ramener en-deçà de 20% à l’horizon de 2020.
Visiblement, il est persuadé qu’en faisant baisser les droits de douanes, il va parvenir à endiguer le flux de la contrebande, comme si chaque trafiquant s’acquittait de sa TVA, de sa contribution patronale à la CNSS, de son IR/IS, de sa R/S, de sa taxe municipale, autres taxes (Fodep, Fodec, etc.).
L’équation est facile à poser, mais le résultat est tout autre. Une telle mesure n’aura que trois incidences sur l’économie nationale. Primo, un manque à gagner pour les recettes douanières. Secundo, un profit additionnel pour les importateurs de biens de consommation. Et tertio, l’intensification de la concurrence sur les PMI.
Pourtant la douane tunisienne dispose d’une batterie de réglementations prévoyant des mesures dissuasives et des sanctions disciplinaires à l’adresse des contrevenants. Mais, quand nous apprenons qu’on n’arrive pas à installer des caméras de surveillance aux points de passage, ni à réparer les scanners régulièrement, ni à enquêter avec les barons de l’économie illicite (une quinzaine, la moitié étant membres du patronat), ni à sanctionner les champions de l’évasion de capitaux, etc., nous réalisons que nous sommes gouvernés par une association de malfaiteurs, qui empêche tout gouvernement de faire son boulot correctement, et le conduit à décréter des mécanismes qui les arrangent au mieux. Par conséquent, la contrebande continuera à sucer le sang de l’économie nationale.
Malgré la bonne volonté du gouvernement Essid, nous continuerons à observer nos PMI crever, nos réserves en devises s’évaporer, notre déficit commercial gonfler, nos recettes douanières baisser, notre endettement extérieur exploser, etc.
Aussi, ne gagnerait-il pas à élargir le brainstorming afin d’éviter l’adoption de mesures infécondes, voire préjudiciables pour le pays?
* Ingénieur économiste.
Donnez votre avis