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Un remaniement du gouvernement pour quoi faire ?

Habib-Essid

Rarement remaniement ministériel n’aura paru aussi vain au regard de l’objectif ultime poursuivi par tout gouvernement que celui annoncé par Habib Essid.

Par Yassine Essid

Les questions de remaniement ministériel ont  toujours donné place, et pas  uniquement dans les pays sous-développés, à un enchainement de rumeurs. D’abord vagues et confuses, elles se répandent de bouche à oreilles, courent un temps les cafés, les diners en ville et les médias. Elles sont inquiétantes pour certains titulaires de postes mais, au cas où elles s’avéraient vraies, réjouissent  de nombreux prétendants longtemps frustrés de ne pas être ministres afin d’exister. Elles excitent  alors l’opinion  publique, agitent les esprits, s’intercalent toujours entre l’imaginable et le vraisemblable.

Sous certains régimes politiques, les rumeurs de ce genre servent aussi d’éléments de renseignement colportés à la façon d’une information encore officieuse ou sur le mode d’une vérité délibérément trompeuse. Une sorte de ballon-sonde lancé par le pouvoir pour comprendre le regard qui a été posé sur la rumeur comme un miroir reflétant la conduite propre aux gouvernants.

La chimère d’une nouvelle équipe

Rendue publique par Habib Essid, l’annonce officielle d’un remaniement prochain du gouvernement, supposé plus compact et «resserré», soustrait cet événement aux spéculations de l’imaginaire commun et officieux. Le besoin d’un changement semble donc avéré sans que  la notion de compétence soit centrale dans la constitution de ce nouveau cabinet. Cette fois, le jeu portera uniquement sur l’hypothèse des promus, des entrants, des sortants de même ceux qui s’estiment «indéboulonnables».

Ainsi, il aura fallu au Premier ministre plus d’une année aux commandes, le blocage de la croissance, la dégradation des conditions d’existence et de multiples attentats terroristes, pour qu’il se rende compte que ça ne marche pas et que la chimère d’une nouvelle équipe lui permettrait peut-être d’améliorer l’efficacité de l’action publique.

Revenons un peu en arrière. Au départ, des  élections législatives qui ont fait triompher un parti, Nidaa Tounes, dont la campagne fut dirigée principalement contre l’idéologie et le mode de gouvernement  islamistes. Béji Caïd Essebsi, fondateur d’une formation politique créée ex nihilo et qui a revêtu pour l’occasion les habits d’un anti-Ennahdha intransigeant, fut porté par des électeurs enthousiastes et désormais sans crainte à la tête de l’Etat. Mais un parti qui cumulerait à la fois la présidence du corps  législatif, disposerait de l’exécutif ainsi que des attributions du chef de l’Etat, risquerait carrément de cadenasser la liberté en transformant la démocratie en un régime à caractère totalitaire.

Un gouvernement de bric et de broc

Pour sortir de ce cadre tentaculaire, le président de la république, tout en trahissant outrageusement la nature du  mandat qui lui a été confié par ses électeurs, s’associa aux islamistes jugés partenaires incontournables. Afin d’assurer la paix sociale ils optèrent de concert pour un Premier ministre  supposé «neutre» car sans étiquette ni  affiliation partisane connues. Sans trop raisonner, Habid Essid s’est alors installé à la tête d’un gouvernement de bric et de broc, un assemblage hétéroclite composé de certaines personnalités peu prestigieuses et d’autres souvent sans expérience que lui imposèrent   des compromis parfois contradictoires entre les partis de la coalition.

Dans une démocratie, un Premier ministre doit incarner en premier lieu l’action collective d’un gouvernement en plus d’une politique économique juste et efficace, comme celle qui fut longuement ressassée pendant la campagne électorale par les thuriféraires de Nidaa Tounes. Mais dans un contexte économique et social  spécialement contraignant, gouverner était devenu une sorte de laboratoire révélant les aptitudes des uns et les incapacités des autres à administrer les affaires publiques sans jamais personnifier un programme, une vision d’avenir et un choix de société. Preuve s’il en était besoin que la compétence n’était  plus un critère suffisant pour être un grand commis de l’Etat.

Manque de fermeté, reculades et renoncements

Dans ce magma politique, le primus inter pares, dont on avait encore aucune connaissance précise, avait réussi à entretenir une opinion favorable à l’égard de sa personne. On lui reconnut une valeur, des qualités, des compétences, et l’autorité d’une personnalité qui se reconnaît un potentiel pour relever les défis sans jamais se remettre en question. Autant de qualités censées normalement forcer l’estime. Mais les lauriers dont on se couronne n’ont qu’une verdure éphémère et la sympathie de l’opinion publique l’accompagna jusqu’à un certain point, là où la déception fait basculer le jugement. Alors on lui tint rigueur pour son manque de charisme, son élocution malaisée, sa crainte d’engager des réformes structurelles, la difficulté de faire usage d’initiatives face à des perspectives incertaines, ses incessantes pérégrinations en arpentant le pays en long et en large comme s’il voulait échapper à d’inévitables tracasseries, son manque de fermeté, ses reculades qui s’achèvent par des renoncements. Enfin, son incapacité à dynamiser ses collaborateurs qui souvent  brassent de l’air.

Lorsqu’un gouvernement, tout gouvernement, atteint un tel déficit de confiance, il perd les moyens politiques de gouverner. C’est  là qu’on se rend compte que ce n’est pas seulement quelques ministres qui sont concernés mais  tous, y compris le premier d’entre eux. Sa démission serait alors inéluctable, et même salutaire. Il devrait par conséquent présenter la démission de tout le gouvernement quitte à être reconduit par les deux président : le  supposé et le putatif, Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi. Bien que ce dernier, il faut l’admettre, s’était prononcé à plusieurs reprises contre un remaniement ministériel pour des raisons, dit-il, de «timing».

En conservant son poste à la tête du gouvernement entouré d’une équipe plus musclée, M. Essid va-t-il être en mesure de faire face aux nombreux défis qui l’attendent, surtout avec une majorité au bord de la scission. Quel programme va-t-il alors mettre en œuvre? Celui de Nidaa 1, de Nidaa 2 ou le sien propre? A moins de faire preuve d’un savant numéro d’équilibriste, il a peu de chances de provoquer une avancée considérable. Rarement remaniement ministériel n’aura paru aussi vain au regard de l’objectif ultime poursuivi par tout gouvernement.

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