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L’indépendance de la magistrature et les juges ayatollahs

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Une totale indépendance des juges reviendrait à leur donner une licence à d’éventuels autres abus du même genre que les nombreux jugements iniques qu’ils ont déjà rendus.

Par Farhat Othman

La polémique est à son comble sur le respect de la constitution après la promulgation, hier, par le président de la république de la loi fondamentale sur le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), une promulgation qu’impose le bon équilibre des institutions commandé par la constitution elle-même.

Or, on crie à l’irrespect de la norme supérieure dans le pays et à la violation de ce qu’elle consacre comme indépendance totale de l’autorité judiciaire.

Pourtant, la constitution n’est pas à une violation près, et il est malhonnête d’en appeler au respect d’un texte quand on le viole délibérément et continûment. Ce qui est le cas de la part d’une magistrature jouant à Tartuffe.

Quand la magistrature viole la constitution

En effet, notre magistrature si vétilleuse dans le rappel du principe constitutionnel de son indépendance — que personne ne conteste, au reste — est la première à en violer les autres principes, tout aussi importants consacrés, aussi par le texte constitutionnel.

A-t-on donc entendu l’association des magistrats, prompte à dénoncer à cor et à cri l’irrespect de la constitution, protester contre les récents et honteux jugements qui ont sali l’image du pays et violé la lettre et l’esprit du texte fondamental en s’en prenant à d’innocents Tunisiens pour la prétendue faute d’être gays, bafouant leur droit imprescriptible à la liberté privée honorée par la constitution ?

A-t-on vu, même à titre personnel, Raoudha Karafi, présidente de l’association, désavouer les ayatollahs parmi ses collègues juges qui instrumentalisent la religion afin de mettre en échec l’application de principes constitutionnels essentiels devant s’appliquer d’office avant tout texte de loi contraire devenu nul de nullité absolue ?

La voit-on appeler à respecter la constitution, faisant le constat inévitable que le droit et l’éthique commandent, à savoir la nullité des lois scélérates toujours en vigueur alors qu’elles ont été abolies de facto et de jure par la constitution, tel ce moyenâgeux article 230, un texte colonial, criminalisant les rapports entre mêmes sexes?

A-t-elle, par ailleurs, relevé, ne fut-ce que par acquit de conscience ou pour la forme, les manquements criards reprochés à son collègue en charge de l’instruction des affaires d’assassinats politiques, dont ont été victimes des dirigeants du Front populaire Chokri Belaid et Mohamed Brahmi ? Elle a, au contraire, défendu crânement son très contesté collègue de la Chambre 13, en charge de ces dossiers, dans un esprit purement corporatiste.

L’adage classique du nemo auditur ne dit-il pas qu’il ne faut pas se prévaloir de ses propres turpitudes? On ne peut reprocher l’irrespect de la constitution à l’autorité exécutive ayant d’autres impératifs à respecter que purement juridiques qui, eux, s’imposent seuls à l’autorité judiciaire et qui ne les respecte déjà pas !

En effet, la constitution impose également à l’autorité politique d’observer le principe cardinal par excellence du nécessaire équilibre des pouvoirs et qui serait assurément rompu dans la Tunisie actuelle par l’admission des juges à une totale indépendance.

Quand le pouvoir exécutif respecte la constitution

S’il est vrai que la loi promulguée ne respecte pas la constitution en matière d’indépendance totale de la magistrature, elle ne la respecte pas moins dans son souci majeur, s’imposant à tous les autres principes, commandant l’équilibre des pouvoirs, sans lequel on vide de tout sens non seulement le texte, mais aussi et surtout l’esprit de la constitution.

Il tombe sous le sens que reconnaître aux juges une indépendance absolue, c’est les encourager à violer encore plus la constitution sans le moindre pouvoir pour les en empêcher. Et c’est la totale faillite de l’État de droit, car la démocratie est dans une balance vétilleuse des pouvoirs, l’un empêchant l’autre du moindre abus.

Aussi, le président de la république était parfaitement dans son rôle de tracer une limite à une indépendance des juges pour les retenir — au nom même de l’honneur de leur métier qui est de rendre justice — de verser dans les abus qui entache encore certains des jugements rendus au nom du peuple.

Que la magistrature fasse donc preuve d’indépendance véritable par rapport aux idéologies, qu’elle s’applique à respecter la constitution et donne l’exemple en se gardant dorénavant d’appliquer les lois abrogées par la constitution ! Alors, elle sera en droit d’exiger de l’exécutif — à bon droit — de reconnaître son indépendance devenant, dans ce cas, un devoir pour toutes les autorités de la république.

Pour l’instant, en l’état actuel de confusion des valeurs, une totale indépendance des juges reviendrait à leur donner une licence à d’éventuels autres abus du même genre que ces jugements iniques dont a souffert une catégorie de notre peuple au nom de qui justice est censée rendue.

La justice aujourd’hui est moins dans la réclamation idéologique de son indépendance que dans la déclaration juridique et éthique que les lois de la colonisation et de la dictature sont nulles et non avenues, et ce au nom même du respect de la constitution dont on se prévaut.

Ce sera cela respecter réellement la constitution; ce qui signifierait aussi cesser d’user d’un langage double qui ne trompe plus personne. Car notre peuple réclame la dignité avant tout; or, elle est dans la reconnaissance de ses droits et libertés consacrés par une constitution que même les juges, devant veiller sur son application, ne respectent pas.

À quoi donc agir éthiquement ! Et qui le ferait sinon les juges garants de la justice dans ce pays ?

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