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Tunisie 2020 : Un cache-misère de la réalité du pays ?

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La réunion de bienfaisance s’est achevée avec une pluie de promesses et la mendicité s’est avérée rentable. Mais l’endettement extérieur est-il vraiment la panacée?

Par Yassine Essid

Pour passer une nuit sereine, se lever le matin de bonne humeur et démarrer la journée en pleine forme, et il n’y a rien de tel qu’une bonne pluie d’argent frais qui vous tombe du ciel. Pas d’âpres marathons de négociations, nulle attente que des démarches soient approuvées, ni de clauses imposées, mais des aides d’Etats attribuées aux conditions les moins contraignantes, des soutiens matériels sans contrepartie, des engagements de dizaines d’entreprises pour le financement de projets en développement durable.

Un formidable engouement

La Tunisie, un petit pays en grande difficulté économique et financière, frappé par le terrorisme, menacé en permanence par de nouveaux attentats, n’avait pas à solliciter de nouveau l’obole du pauvre, mais simplement exploiter judicieusement une réputation irréprochable et exemplaire jamais démentie sur la scène internationale. Car le pays dispose plus que jamais de ces beaux atouts pour réussir et séduire.

Pays d’extraordinaire tolérance, cultures et traditions, la Tunisie se démarque de ses voisins par l’ardeur au travail de ses habitants et leur souci scrupuleux de l’observance de la loi qui a fini par devenir un but en soi. La capacité d’efforts de l’administration, le don de soi, l’abnégation et le dévouement des fonctionnaires pour le service public y sont la règle. Le talent naturel pour l’innovation de ses jeunes entrepreneurs et leur amour sans concession pour la patrie constituent d’autres référentiels. De plus, la qualité d’éducation et d’enseignement aideront élèves et étudiants à réaliser le plus efficacement possible les apprentissages souhaités renforçant ainsi la propension naturelle de toute une génération à refaire le monde.

Il faut enfin reconnaître tout de même que le grand civisme, les valeurs de la culture de l’effort et de l’excellence des Tunisiens, leur rectitude, la maturité politique et la finesse d’esprit et le souci de l’intérêt général de ses parlementaires, ajoutés à la solidité et la stabilité des institutions, y sont aussi pour beaucoup dans ce formidable engouement que l’on observe chez les participants à la conférence internationale sur l’investissement, Tunisie 2020, qui s’est tenu les 29 et 30 novembre dernier, pour favoriser la mise en œuvre de projets concrets en dépit d’une économie notée BB- par les agences internationales.

Rien d’étonnant par conséquent à ce que la bonne volonté des pays frères et amis à venir en aide à la Tunisie soit toute naturelle. Pour les leaders politiques venus participer à cette conférence, la Tunisie est, de tous les pays de la région, celle qui méritait le plus un appui sans condition pour son attachement aux idées démocratiques, pour le talent de ses dirigeants visionnaires et l’application obstinée qu’elle met pour réussir sans complexe à rejoindre le rang des nations émergentes.

Prenez votre calculette

Maintenant voyons combien a rapporté cette quête? Prenez votre calculette et suivez le guide. Un prêt de 500 millions de dollars du Koweït, une aide d’un milliard et 250 millions de dollars du Qatar sans compter, faut-il le rappeler, les 11.000 postes d’emplois déjà créés et les 6000 djihadistes financés par le petit émirat et stationnés en Libye. Comptez aussi 800 millions de dollars de fonds de financement d’Arabie Saoudite et 250 millions d’euros de la France en plus de la conversion d’une partie des dettes tunisiennes en des financements de projets de développement. Ajoutez les 250 millions de dinars de la part des Suisses et les 389 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement (BEI). La Turquie n’est pas en reste. Le Sultan Erdogan effectuera un dépôt de 100 millions de dollars en faveur d’un pays qui sera peut-être un jour une régence de l’Empire Ottoman aussitôt que les islamistes retourneront au pouvoir.

A côté des pièces sonnantes et trébuchantes, il y a aussi les promesses de financement d’investissements d’une valeur de 10 milliards de dollars. Il y aurait en tout près de 20 milliards de dollars créateurs de 50.000 emplois. Assez pour transformer un pays livré jusque-là au grand vent de l’austérité en pays appelé à inaugurer une période de croissance, d’abondance même, où l’économie serait plus saine et plus vigoureuse se communiquant à l’ensemble des régions. Assez aussi pour mettre fin aux pitoyables et opportunistes démarchages du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) et ses apologies pour les chèques islamiques.

Un pays réduit à la sollicitation de l’aide étrangère

La réunion de bienfaisance s’est achevée, la quête fiévreuse et passionnée pour les pauvres et les chômeurs semble avoir été abondante et la mendicité s’est avérée rentable car les donneurs ont fini par plier le genou devant un pays réduit où la sollicitation de l’aide étrangère est devenue une nécessité absolue.

Cependant, il n’est pas certain que cette manne providentielle apaise les revendications criardes, les récriminations incessantes et nous ramène à un état prolongé de paix sociale. La publicité étendue donnée à cette manifestation et aux sommes récoltées est de nature à pousser les uns à réclamer leur part, les autres à exiger davantage de ce qui est considéré désormais comme leur revenant de droit.

Un gouvernement qui est uniquement inquiété pour sa survie et qui nous condamne à vivre au rythme des dons, des prêts, et des investissements directs étrangers (IDE) moyennant les quelques concessions, aurait mieux fait de rappeler à l’opinion publique la différence entre le don gratuit, le prêt consenti assorti d’un intérêt, les initiatives des Etats qui prennent la forme de subventions aux investisseurs étrangers, et les promesses d’investissements privés qui sont souvent des promesses de marins, des engagements souvent formels ou verbaux rarement suivis d’effet.

L’investissement n’est pas une notion claire ni distincte et sous l’unité apparente du langage, gisent diverses manifestations du phénomène. Parmi celles-ci les IDE, surtout dans une économie mondialisée et qui sont devenus pour tout pays un déterminant fondamental contribuant à la croissance et au développement.
Pour un pays en grande difficulté, les plus importantes sources de capitaux sont l’aide étrangère, aujourd’hui épuisée, les IDE et l’endettement extérieur toujours à la hausse au point de constituer un frein à la croissance qu’il était censé stimuler et un facteur crise. Le pays débiteur se mettant à rembourser davantage de dettes et réemprunter rien que pour s’acquitter des intérêts de ses dettes.

Parmi ces différentes sources de capitaux, l’investissement étranger demeure le mieux placé pour permettre aux pays de se sortir de la pauvreté par la croissance. En plus d’ajouter aux ressources de développement du pays, l’IDE apporte, croit-on, d’autres contributions importantes à la croissance et au développement: il peut accroître les rentrées fiscales, générer des emplois, et ouvrir de nouveaux marchés d’exportation. Il est aussi capable de financer des projets qui nécessitent un gros investissement initial, trop important pour le gouvernement ou les institutions financières nationales. Enfin, il est capable d’accroître la productivité et la compétitivité en introduisant de nouvelles technologies.

Mais, dans la pratique, les choses sont un peu plus compliquées. Car pour attirer les investisseurs, il faut non seulement rivaliser avec d’autres pays en offrant des avantages plus substantiels en termes d’exonérations fiscales qui sont autant de manque à gagner, mais assurer la mise en place d’une infrastructure de soutien qui vise à réduire le risque commercial. L’investisseur aurait aussi tendance à se concentrer dans un petit nombre de secteurs qui sont rentable mais ont peu de liens avec le reste de l’économie et offrent des emplois précaires qui ne présentent pas un niveau de vie acceptable pour l’employé.

Aujourd’hui, les IDE, qui fuient le risque comme le diable fuit le bénitier, se dirigent de pays en pays, divergent de leur route selon les circonstances, s’installent là où les marchés sont tous prêts, les taux de rendement élevés, la fiscalité la moins contraignante, la main-d’œuvre docile, peu coûteuse et qualifiée, les intrants locaux bon marché, les réglementations et les protections rationalisées. C’en est trop pour un peuple de moins en moins enclin à se mettre au travail pour améliorer son sort et assurer graduellement son émancipation.

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