Tunisiens manifestant, à Paris, en soutien à Chahed dans sa guerre contre la corruption.
«En matière de lutte contre la corruption, les actes importent plus que les intentions et les motivations», estime Me Majid Bouden, victime emblématique de la corruption en Tunisie.
Par Habib Trabelsi, correspondant à Paris.
L’avocat tunisien et ancien actionnaire de la Banque franco-tunisienne (BFT), au cœur d’un litige vieux de 28 ans dont il estime être «la victime expiatoire», prône une «guerre totale contre la mafia politico-financière», à la faveur du coup de filet anti-corruption engagé par le chef du gouvernement, Youssef Chahed.
«L’initiative du chef du gouvernement est positive. Il faut la soutenir quelles que soient les interprétations qu’on puisse en faire», a déclaré à Kapitalis l’ex-président de l’Arab Business Consortium Investment (ABCI) qui, selon lui, «avait acquis en 1982 la BFT dont elle avait été spoliée en 1989 à la suite d’une machination judiciaire et de malversations dans les plus hautes sphères de la finance étatique et avec la collusion entre les milieux d’affaires, les hauts fonctionnaires et des représentants de partis politiques».
Me Bouden était présent au rassemblement de Tunisiens de France en soutien à M. Chahed, organisé par la société civile, samedi 27 mai 2017, au Trocadéro, à Paris.
«Cette présence est certes décevante, mais le rassemblement est symbolique. Il ne faut pas douter du soutien populaire à la guerre contre la corruption», a déclaré Marouan Felfel, membre du comité exécutif du mouvement Machrou Tounes et député Al-Horra. Il a justifié à Kapitalis le manque d’affluence par «le début de ramadan, le weekend prolongé et la non-implication des partis politiques».
Le plus important, c’est «la dynamique»
Mais, a insisté Me Bouden, «en matière de lutte contre la corruption, ce sont les actes qui importent le plus et non les intentions et les motivations». Et d’ajouter: «Voilà pourquoi, il faut le soutenir, l’accompagner pour qu’il ne subisse pas les pressions des mafieux, des corrompus, de ceux qui ont miné l’Etat, ceux qui cherchent à maintenir l’Etat dans une instabilité permanente, qui est devenue institutionnelle depuis 2011».
Marouen Felfel et Habib Trabelsi.
L’avocat ne se contente pas, comme la majorité écrasante des Tunisiens, d’affirmer son soutien au combat contre la corruption.
Selon lui, «M. Chahed ne doit pas s’arrêter à quelques gros bonnets». Il a cité «parmi les bénéficiaires de BFT et qui se sont enrichis grâce au système d’octroi de crédits sans garantie et sans avoir à jamais s’inquiéter de rembourser», l’homme d’affaires Chafik Jerraya et l’un des membres éminents de l’ancien clan présidentiel, Imed Trabelsi.
Il a souligné à l’envi que «cette action doit s’inscrire dans une dynamique totale contre tous les gros bonnets, sinon l’Etat peut tomber à tout moment sous la coupe de ces mafieux et d’entrer dans un jeu entre clans mafieux. L’essentiel, c’est de maintenir la dynamique, pour le salut du pays».
Eradiquer la mafia économique mais aussi politique
«Or, a-t-il ajouté, la lutte contre la corruption ne signifie pas cautionner directement ou indirectement un clan contre un autre, mais éradiquer l’ensemble de la mafia économique qui gangrène le système politique et économique du pays».
Majid Bouden et Habib Trabelsi.
«Cette lutte doit être de tout instant et contre tous, sans exception (…). Il faut sortir des structures qu’on est en train de mettre en place et qui ont prouvé leur inefficacité, qui ont été infiltrées par les corrompus qui disposent aujourd’hui de moyens financiers illégitimes colossaux. Il faut aller au cœur du système. Il faut examiner tous les circuits économiques, financiers et bancaires. Il faut que la lutte soit totale», a martelé l’avocat.
«Si cette lutte s’épuise, la mafia va gangrener l’Etat pour très longtemps et la situation deviendra quasiment irréversible. Or, maintenant, il faut aussi éradiquer la mafia politique: les politiques dans beaucoup de partis sont des instruments qui soutiennent la mafia, bénéficient d’une façon directe ou indirecte des fruits de la corruption», a conclu Me Bouden.
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