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Tunisie : L’Etat, la révolution… et la réconciliation

Le « retour » des collaborateurs de Ben Ali dans le sillage de Ghannouchi et Caïd Essebsi. 

En Tunisie, on ne se réconcilie opportunément… qu’avec les vrais coupables. En attendant la suppression de la dissolution frappant le RCD.

Par Dr Mounir Hanablia *

La scène politique a donné lieu la semaine dernière à un spectacle assez inattendu, celui du vote dans des circonstances fort agitées d’une loi dite de la réconciliation administrative, certainement plus que contestable, absolvant sur plus de 50 ans, et de toute responsabilité pénale, les fonctionnaires ayant «exécuté les ordres». Ceux qui s’y sont opposés de la manière que l’on sait ont été qualifiés de «ceux qui ne veulent pas pardonner», ce qui veut tout dire, et même plus. De la manière que l’on sait ?

Pour les férus des affaires de l’Inde, les événements survenus lors du dernier vote de confiance tenu au siège de l’assemblée régionale du Tamil Nadu, en février dernier, fait apparaître les derniers écarts d’une poignée de nos députés pour de simples enfantillages.

Vers une dictature des partis de majorité

En fait, si cette loi est tant soit peu celle de la normalisation plus que de la réconciliation, ou tant et plus celle de la division, elle n’est non plus pas si administrative que cela puisqu’elle aboutit le cas échéant au renvoi face à une juridiction spéciale de la Cour de Cassation spécialement créée pour la circonstance.

Mais bon, le recours sur l’inconstitutionnalité de cette loi a été introduit en l’absence de Cour Constitutionnelle, dont depuis 2011 le système politique dans ce pays semble s’accommoder très opportunément, autant d’ailleurs qu’il s’accommode des multiples jugements du Tribunal administratif restés lettre morte, faute d’organes chargés d’en assurer l’exécution auprès de l’Administration publique. Il s’agit là de l’une des réalités les plus scandaleuses et les plus durables de ce que l’on a nommé la seconde République.

La démocratie est certes devenue la panacée magique, il s’agit de la défendre, de la respecter, en particulier quand les deux partis de la majorité exercent un contrôle total sur l’organe législatif, mais aucune force politique ne désire rendre compte de l’exercice de son pouvoir, auprès d’une justice indépendante chargée d’en vérifier la constitutionnalité.

C’est ainsi qu’il existe certes une majorité et une opposition, des élections et une expression généralement libres, et qu’on le veuille ou non, c’est là l’une des réalités issues des événements de 2011 que d’aucuns ont qualifié de révolution, d’autres de régression.

Mais à quoi tout cela rimerait-t-il s’il n’existe pas un contre-pouvoir transcendant que seule une Cour Constitutionnelle pourrait apporter et sans lequel une majorité parlementaire évoluant en démocratie se muerait non moins sûrement en une dictature des partis de majorité?

La réalité est qu’en l’absence d’un tel contre-pouvoir, des lois sont votées mais le pays s’enfonce toujours encore plus dans le marasme et change de gouvernement une fois l’an.

Une conception carthaginoise de la raison d’Etat

Changer de gouvernement ? La campagne contre la corruption menée tambour battant par le chef du gouvernement s’est terminée par un flop monumental, après la disqualification rocambolesque du ministre des Finances. Les accusations dont ce dernier a fait l’objet, au cours d’une campagne médiatique savamment menée, ainsi qu’un jugement par contumace concluant un procès duquel personne ne l’avait prévenu, ont eu raison de lui et fait comprendre à son chef qu’en Tunisie, en l’état actuel de l’équilibre politique, ou de son déséquilibre, l’exercice du pouvoir imposait l’acceptation d’un certain nombre de réalités, que généralement, le commun des citoyens juge contraires à l’intérêt du pays , mais qui ne sont nullement contradictoires avec une certaine conception carthaginoise de la raison d’Etat.

Quant au ministre des Finances incriminé, il a eu l’honnêteté de démissionner en attendant son procès, et lui n’a pas eu droit à la réconciliation.

Entre-temps, d’anciens ministres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, ancien parti au pouvoir sous la dictature de Ben Ali) ont été réintégrés au sein du dernier gouvernement de l’Etat démocratique révolutionnaire, auxquels le fameux vote, dans les conditions que l’on sait, par le parlement, a certainement épargné une situation qui aurait pu être gênante.

En 2008, dans la Banque de Tunisie, tout le monde se souvient comment l’autorité de contrôle de l’époque avait entériné le véritable coup de force auquel Belhassen Trabelsi, beau-frère de Ben Ali, s’était livré en pénétrant de force dans le capital social afin de bénéficier séance tenante de l’augmentation de capital exceptionnelle décidée au profit des actionnaires par feu le Pdg de l’époque. Mais quoi, les commis de l’Etat exécutaient les ordres reçus sans aucun bénéfice pour eux, n’est ce pas?

En fin de compte, le ministre des Finances du gouvernement démocratique issu de l’Etat et de la révolution, dont l’un des objectifs clairement affirmé était d’éradiquer la corruption, a lui comparu devant la justice ordinaire, et naturellement, et c’est tout à son honneur, ainsi que celui de ses juges, il a été acquitté. Cependant, il n’a pas été réintégré dans ses fonctions et d’une certaine manière, même démis, il continue de servir d’exemple et sans doute d’avertissement, au profit de l’Etat qui avait bénéficié de ses compétences et de son savoir-faire.

Comme quoi, et d’une certaine manière, on ne se réconcilie opportunément… qu’avec les vrais coupables. Et avant le rétablissement du régime présidentiel, désormais réclamé à corps et à cri comme la panacée à tous nos maux, pourquoi ne pas supprimer la dissolution frappant le RCD… et rétablir à sa tête, avant les prochaines élections, son dernier président? Ce serait certainement l’achèvement de la réconciliation.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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