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Bloc-notes : La Tunisie souffre surtout d’un déficit de… conscience

Qui de nos politiciens peut honnêtement prétendre avoir bonne conscience dans un pays délabré et qu’on veut délabrer encore plus.

Par Farhat Othman *

Aujourd’hui, la Tunisie est à son étiage; aussi écume-t-elle la lie. Elle traverse une brume mentale qu’un présent plein d’incertitudes rend encore envahissante, bien plus lourde à supporter. C’est surtout une conscience éveillée qui y fait défaut, chez le peuple, certes, mais aussi ses élites.

Dérive éthique

Or, comme le peuple se cale désormais sur l’exemple de ses dirigeants, c’est auprès de ces derniers que le défaut de conscience est le plus grave et est à dénoncer. On le voit avec ces mensonges répétés sur les libertés et les droits citoyens, constitutionnellement proclamés, inlassablement répétés, mais absents sur le terrain, violés quotidiennement. Même la torture est encore pratiquée ! Où est donc la conscience chez les moins corrompus par le pouvoir et/ou par une fausse lecture de la religion?

La conscience est ce sentiment, une claire perception que l’on a de soi, son existence, son environnement et le monde extérieur. Cela fait un ensemble d’opinions et de croyances où le sens moral, autre définition de la conscience, est présent ou absent. Ainsi, on possède ou pas la conscience en paix, ce qui nécessite d’y agir selon ces valeurs reproduites par les standards universels, traduites en actes concrets. Et c’est agir en conscience.

Une telle conscience n’est pas qu’individuelle, elle est collective également : cette façon de penser propre à un groupe social, bien distincte de celle de ses membres pris individuellement.

En ce sens, les marxistes parlent de conscience de classe, les représentations idéologiques et les comportements de qui appartient à une classe donnée, des capitalistes ou du prolétariat.

Or, une telle conscience n’est effective qui si elle est fixée par des lois justes, faisant l’objet d’une application sourcilleuse. Or, c’est ce qui manque en Tunisie supposée évoluer dans le bon sens, celui de la démocratie et de l’État de droit.

Déficit de conscience

Le problème majeur en notre pays est que la conscience est un cas, elle constitue de plus en plus un problème moral délicat, difficile à gérer. Ce sont les conditions de vie faites à la majorité du peuple qui en est la cause, du fait d’un lot de lois scélérates, car ne brimant que le peuple, la minorité nantie y échappant grâce à ses privilèges et l’impunité assurée.

D’où la généralisation dans le pays d’échappatoires aux règles morales pour la majorité maltraitée du peuple du moment qu’elles ne sont pas respectées par la minorité des privilégiés de la société.

Pour les damnés de la société, c’est une sorte de clause de conscience permettant de survivre, échapper aux rigueurs des contraintes légales pourtant illégales et illégitimes, préservant un minimum d’espace vital en une société en dérive vers le pire. Or, qui doit donner l’exemple sinon les élites? En l’absence d’un tel exemple, tout le pays est gangrené par le vice, faisant se généraliser de telles clauses morales populaires, pour résister à l’environnement officiel demeurant étouffant, mortifère même pour la société, sa jeunesse.

C’est d’un cri de conscience qu’on a le plus besoin de la part des politiciens, et qui vienne du coeur, non pas de cette langue de bois dont on use et abuse. La politique ne peut continuer à être ce qu’elle est devenue : pratique éhontée du mensonge, se servant d’un peuple qui, bien que pauvre, est digne et conscient de sa dignité, méritant surtout le meilleur.

On a besoin que nos dirigeants fassent montre moins de gaudriole et de fourberie que de ce mouvement sincère et spontané du coeur, un mouvement généralement intérieur, mais devant s’extérioriser.

Il est bien temps d’en finir avec cette élasticité de la conscience chez nos femmes et hommes publics, ce flagrant manque de rigueur et de conséquence dans l’éthique politique, cette terrible absence de bonne foi qui devrait être source de cas de conscience pour qui prétend avoir des valeurs et s’y réfère à tout bout de champ. On en a le meilleur pire exemple avec le comportement public actuel de l’ex-président provisoire Moncef Marzouki.

Réveiller la conscience

Nos politiciens sont-ils psychologiquement en état de conscience, conscients de ce qu’ils font, étant obnubilés par les mirages d’une carrière de mensonges et d’un matérialisme excessif où ne se retrouve nulle once de spiritualité?

Or, la psychologie populaire déborde de spiritualité; ce qui nourrit une religiosité que mettent à profit des gens malhonnêtes, trompant sur la religion, en faisant bien plus qu’un opium, un poison à retardement.

Il est impératif de libérer nos consciences en Tunisie, donner à tout un chacun le droit de choisir son mode de vivre et d’y pratiquer paisiblement et sereinement le vivre-ensemble; ce qui impose d’abolir incontinent toutes les lois scélérates s’y opposant ainsi que les réflexes et pratiques incrustés chez les serviteurs de l’ordre public.

Il nous faut reprendre conscience de nos réalités qui ne sont nullement dans un libéralisme outrancier, sans limites éthiques, ni dans une religiosité de bandit au service de la sauvagerie du marché qu’on veut imposer à la Tunisie. Cette alliance capitalislamiste sauvage n’est point bonne pour une société pauvre comme la nôtre, elle ne saurait qu’y reproduire les affres qui ont accompagné l’émergence du capitalisme en Occident.Veut-on cela pour la Tunisie ?

Nos politiciens doivent faire preuve de conscience comme on en dirait de la conscience professionnelle : faire montre de probité, grand soin et minutie dans l’exercice de leur métier, devenu sacerdoce. Cela suppose qu’ils se fassent impérativement un examen de conscience, l’analyse critique de leur conduite publique.

On ne doit plus se limiter à exiger chez le politicien de la compétence technique, il importe avant tout qu’elle s’articule nécessairement à une action rendue en son âme et conscience, avec un jugement moral intègre.

L’action politique doit être uniquement dictée par la publique conscience de servir le plus grand nombre dans la société et non juste les gourous de la finance mondiale qui dictent leurs desiderata et les charlatans d’une foi devenue un commerce illicite. Si l’islam doit être un commerce en ce monde matérialiste à outrance, sa vocation est alors d’être ce commerce équitable.

En Tunisie, une bonne gouvernance, celle qui relève de la stratégie par objectif, comme on dit désormais, doit être une action publique par acquit de conscience, ayant impérativement pour objectif la certitude de n’avoir rien à se reprocher ou à regretter dans la vocation du service de l’intérêt commun.

Salut par la foi

Qui de nos politiciens, aujourd’hui, peut honnêtement prétendre avoir bonne conscience dans un pays délabré, qu’on veut délabrer encore plus pour en vendre aux enchères capitalistes ses services publics qui n’ont jamais aussi mal marché? Où sont les responsables intègres pour stopper une telle descente aux enfers? Pourtant, les compétences ayant — et veillant — à avoir bonne conscience existent bel et bien. Songe-t-on au moins à leur permettre d’agir, à y faire appel? Y agissent-elles étant gagnées par une démobilisation coupable ou par un manichéisme criminel, faisant servir un dogme, une idéologie, non les droits et libertés citoyennes? On préfère plutôt amnistier les coupables que rendre justice et on maintient hors des postes de responsabilité les compétences n’ayant rien à se reprocher.

Il est temps de renouer avec la conscience en ce pays, arrêtant de prétendre en avoir, la conscience des ns et des autres ayant l’apparence bien élastique, large même, nos responsables n’étant ni très scrupuleux ni ne faisant montre de rigueur pour les injustices flagrantes aussi bien dans leurs départements que tout le pays. Comment en espérer le salut quand ceux qui sont censés y penser ont la conscience mauvaise, se mentant à eux-mêmes avant autrui? N’est-ce pas fatal quand on a quelque chose à se reprocher, se sentant pour le moins coupable de ne pas lever les injustices issues d’une légalité trouée d’illégalités?

Quand donc écoutera-t-on, en ce pays, la voix de la conscience plutôt que le bruit de la renommée? Quand s’adonnera-t-on à l’action publique selon une conscience sereine sans nulle honte? Les poubelles de l’histoire ne débordent-elles pas de vantards et des vaniteux dont brûlent toujours les bûchers des vanités? Une collective prise de conscience, au nom même de l’islam, religion de l’État, est impérative pour sortir de l’horreur actuelle.

Elle impose un sursaut d’une ampleur inédite hors de la pratique actuelle qui n’est que de l’idéologie, ce processus malhonnête que nos acteurs politiques accomplissent sans doute avec conscience, mais conscience fausse. C’est de foi authentique que la Tunisie a le plus besoin, une conscience vraie.

* Ancien diplomate, écrivain.

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