Sortant peu à peu de sa discrétion, l’Egypte de Sissi, qui cherche à offrir l’image d’une «dictature éclairée», reprend sa place naturelle sur l’échiquier mondial et reprend la main sur les dossiers brûlants de l’heure.
Par Roland Lombardi *
Réélu sans surprise avec 97,08 % des voix le 2 avril dernier, le président Abdel Fattah Sissi ne bénéficie pas, c’est le moins que l’on puisse dire, d’une quelconque sympathie chez la plupart des observateurs français. Mais, en dépit ce cette «mascarade d’élection» et du «Sissi-bashing» ambiant des médias, de la doxa et des dogmes de certains chercheurs, pour qui tout ce qui porte un uniforme représente le diable, il serait malhonnête de dresser un tableau totalement noir de son bilan.
Certes, depuis son coup de force de 2013 qui renversa le président issu des Frères musulmans, Mohammed Morsi, le maréchal Sissi, élu en 2014, s’est révélé depuis, être un véritable dictateur. Peut-être plus impitoyable que ses prédécesseurs. Néanmoins, à la différence des autocrates du passé, Sissi fait preuve, lui, d’une réelle et sincère volonté de combattre les islamistes, de protéger les Coptes, de lutter contre les trafics et la corruption et enfin, de moderniser de fond en comble l’économie égyptienne. Certes, le résultats de ses réformes socio-économiques, douloureuses mais non moins vitales pour l’avenir du pays, se font attendre.
Par ailleurs, les attentats secouent régulièrement l’Egypte et l’insurrection jihadiste dans le Sinaï perdure.
Sur le plan international, en revanche, le président Abdel Fattah Sissi a mieux réussi. Après 2011 et le Printemps du Nil, l’Egypte avait en effet connu jusqu’à l’été 2013, des années de troubles internes qui ont contraint le pays à un certain retrait sur le plan international.
De fait, dès son coup d’Etat en juillet 2013 et surtout après son élection à la présidence en mai 2014, Sissi a eu comme priorité de redonner à l’Egypte sa place sur l’échiquier régional.
Dans cette première partie, nous évoquerons d’abord, les relations internationales de l’Egypte de Sissi et notamment ses rapports avec la Russie, les Etats-Unis, l’Occident, l’Afrique et les pays du Golfe.
Sissi face à la Russie, les Etats-Unis, l’Occident et les monarchies du Golfe
Ainsi, pour appréhender ceux-ci, il faut bien comprendre que Sissi a fait de la lutte contre l’islam politique et son corollaire, le terrorisme jihadiste (je rappelle sa répression féroce des Frères musulmans égyptiens), la pierre angulaire de sa politique étrangère.
De plus, il ne faut pas perdre de vue que Sissi, formé au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, fut longtemps le patron des renseignements militaires égyptiens. Avec un passage, au début de sa carrière, à l’ambassade d’Egypte en Arabie saoudite, comme attaché militaire, Sissi est un fin connaisseur des arcanes des relations internationales et surtout régionales. Pragmatique, il a très vite compris que pour garder des marges de manœuvres et une certaine indépendance géostratégique, il lui fallait diversifier les soutiens financiers mais aussi militaires et stratégiques de l’Egypte.
Dès sa prise de pouvoir «musclée», la Russie et Israël furent les premiers pays à reconnaître et à soutenir Sissi, à l’inverse des chancelleries occidentales beaucoup plus prudentes et surtout très critiques vis-à-vis de son coup de force.
Ainsi, depuis la reprise en main du pays par l’armée et Sissi, qui est clairement un partenaire assumé de l’Etat hébreu, les relations entre les deux pays sont sans précédent. Aujourd’hui, dans le Sinaï notamment, les militaires égyptiens et israéliens travaillent de concert pour combattre la Wilayat Sinaï, la branche égyptienne de Daech.
Avec Moscou, les relations se sont également considérablement renforcées, offrant de nombreuses perspectives de coopération en matière économique et militaire. Et puis, avec la guerre en Syrie, Poutine s’est révélé être un puissant et fidèle soutien. Cela peut servir un jour, au cas où…
L’Arabie saoudite, dont les Frères musulmans sont la bête noire, se positionna, elle, rapidement comme un appui et surtout, comme le premier et principal soutien économique de l’Egypte, lui accordant alors plusieurs dizaines de milliards de dollars d’aide financière. Néanmoins, Sissi, ne voulant pas se retrouver trop tributaire de Riyad, se tourna vers d’autres partenaires financiers comme les Emirats arabes unis, le Koweït ou la Chine, qui investit actuellement plus de 20 milliards de dollars en Egypte.
Ainsi, même si les îlots de Tiran et Sanafir ont été rétrocédés à l’Arabie saoudite et que l’Egypte a apporté son soutien politique à l’intervention militaire sous l’égide saoudienne au Yémen, il n’en reste pas moins que Le Caire reste relativement libre de ses choix géostratégiques vis-à-vis du royaume (rétablissement des relations diplomatiques avec Damas et soutien à Assad, votes pro-russes à l’Onu dans les résolutions concernant la Syrie, volonté d’apaisement des tensions régionales avec l’Iran, avec qui l’Egypte entretient de bons contacts…).
Ces zones d’ombre dans son «alliance» avec Riyad, n’empêchent pas pour autant le président égyptien d’être actuellement dans les meilleurs termes avec le jeune prince héritier, Mohammed Ben Salman, pour qui Sissi est une sorte de modèle et de mentor quant à sa lutte contre le fanatisme religieux et, surtout, sa pratique autoritaire du pouvoir…
Enfin, en dépit d’un début difficile avec les Occidentaux, actuellement, les relations sont au beau fixe. Par exemple, Sissi a très vite compris que pour faire taire les critiques françaises sur ses atteintes aux Droits de l’homme, il fallait agiter un chéquier sous le nez des diplomates du Quai d’Orsay (achat de 24 avions de combat Rafale).
Quant aux Etats-Unis, le grand parrain, la coopération militaire américano-égyptienne a été suspendue par l’administration Obama jusqu’au début 2014. Ensuite, les relations sont peu à peu revenues à la normale (Washington ne pouvant se couper de l’Egypte).
Aujourd’hui avec Donald Trump, grand ami du président Sissi, qui sera d’ailleurs un des premiers à le féliciter lors de son élection, l’Egypte est redevenue un des alliés privilégiés dans la région pour Washington mais également pour les Européens, notamment dans la lutte contre le terrorisme.
Au final, seules les relations avec la Turquie et le Qatar, les derniers soutiens des Frères musulmans, restent tendues et difficiles.
Sissi et l’Afrique
Enfin, Sissi a également renforcé le rôle de son pays sur la scène africaine. L’Egypte a d’ailleurs réintégré en juin 2014 les institutions de l’Union africaine, où elle avait été suspendue après la destitution de Morsi en juillet 2013.
Le 10 juin 2015, c’est encore sous l’égide de l’Egypte de Sissi que les représentants du Comesa (Marché commun de l’Afrique orientale et australe), de la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) et de la CAE (Communauté d’Afrique de l’Est) ont signé un important accord de libre-échange.
Par ailleurs, Le Caire est bien sûr très préoccupé par la construction, par l’Ethiopie, d’un grand barrage sur le Nil, le «Barrage de la Renaissance», susceptible d’avoir un impact négatif sur le débit du fleuve. Mais, même si Sissi montre ses muscles, notamment en renforçant grandement son armée, des rencontres bilatérales et trilatérales, avec le Soudan, permettent d’apaiser les tensions. En dépit de l’échec des dernières négociations, ce sera, à n’en pas douter, une solution diplomatique qui sera à terme privilégiée.
* Analyste au sein du groupe JFC Conseil, docteur en histoire, consultant indépendant en géopolitique, et chercheur associé à l’IREMAM à Aix en Provence (France).
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