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Où les Caïd Essebsi and Co mènent-ils la Tunisie ?

À présent que la poussière de la dernière sortie médiatique du chef de l’Etat est retombée, ou presque, les véritables affaires du pays et les soucis quotidiens du Tunisien devraient mériter toute l’attention de ceux qui ont la charge de diriger le pays et de répondre à la question «où va-t-on ?»

Par Marwan Chahla

Dans nos colonnes, comme chez nos confrères nationaux et internationaux, l’on a disséqué la très controversée interview que le président de la République Béji Caïd Essebsi (BCE) a accordée, dans la soirée du lundi 24 septembre 2018, à El-Hiwar Ettounsi, pour n’y trouver rien d’intéressant… rien d’encourageant.

Tout ce que BCE a dit, de bout en bout de cet entretien de plus d’une heure, était facile à deviner: comme on s’y attendait, il s’est agi d’une prestation médiatique de fin de règne d’un nonagénaire que le hasard de l’Histoire a rappelé de sa retraite pour lui ouvrir les grilles du Palais de Carthage, du terminus du parcours d’un homme qui a dilapidé cette chance inouïe et qui croit encore qu’il va pouvoir sortir par la grande porte…

Le magicien de Carthage a perdu ses dons

Déjà, depuis l’entretien «enregistré» de Nessma TV, à la mi-juillet dernier, lorsque BCE a sommé le chef du gouvernement Youssef Chahed de choisir entre remettre sa démission ou solliciter une nouvelle fois la confiance de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), il était devenu évident que le locataire du Palais de Carthage avait perdu la partie. Venu sur la chaîne de Nabil Karoui pour expliquer aux Tunisiens les raisons de l’échec de son Accord de Carthage 2, BCE n’a pas su convaincre.

Et à partir de ce moment-là, tout allait échapper au contrôle au magicien de Carthage.

Son parti Nidaa Tounes, qu’il a laissé en héritage à son fils Hafedh Caïd Essebsi, poursuivait sa descente aux enfers pour ne plus être que l’ombre de lui-même. Son allié islamiste Ennahdha se montrait de plus en plus «contrariant» avec, entre autres désolidarisations, son leitmotiv de «la priorité de la stabilité gouvernementale» dont la transition en Tunisie a grandement besoin. Youssef Chahed, très occupé par la gestion des affaires du pays, refuse de répondre à la provocation, décide de remercier un ministre de l’Intérieur pour le remplacer par un autre et réussit à obtenir pour Hichem Fourati la confiance de l’ARP.

Déjà, depuis ce feu vert d’une confortable majorité des députés (148 sur les 169 voix exprimées) accordée au successeur de Lotfi Brahem, le samedi 28 juillet dernier, il était devenu clair que les données parlementaires ont changé, que le vent a tourné et que BCE, son fils et les opportunistes (ou les corrompus) qui les entourent n’y pouvaient plus grand-chose.

Depuis lors, aussi, le paysage politique n’a cessé de se redessiner – et il continuera, dans les cinq ou six prochains mois, à se préciser encore plus – avec une distribution nouvelle des cartes qui serait peu ou prou comme suit: les islamistes d’Ennahdha, un centre de ceux que l’on pourrait «le bloc des Chahed-compatibles» autour l’actuelle Coalition nationale, un Nidaa Tounes qui sera maintenu en vie sous respiration artificielle jusqu’aux prochaines législatives et présidentielle de 2019, et les autres des extrêmes de gauche et de droite…

Et ce désenchantement généralisé…

Avant que tout cela ne se tasse définitivement et que l’on en arrive à cette compétition entre ces trois pôles d’attraction principaux (Ennahdha, les pro-Chahed et Nidaa), il y aura quinze mois à tenir, une longue quinzaine de mois difficiles qui comprend le vote du projet de la loi des Finances 2019, la mise à exécution – si possible – de quelques «réformes douloureuses» que les bailleurs de fonds étrangers attendent avec impatience, les menaces de grève générale brandies par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et autres sit-ins et protestations, le mécontentement de l’organisation patronale, et également la grogne, ici et là, de certaines corporations…

Bref, si 2018 n’a pas été une bonne année pour le commun des Tunisiens, celle qui suivra pourrait ne pas être meilleure. La liste des mauvais indicateurs économiques est connue de tous: le déficit béant de la balance commerciale, la dégringolade inarrêtable du dinar, le gouffre abyssal du budget de l’Etat, l’intenable fardeau de la dette externe, un environnement peu attractif pour les investisseurs nationaux et étrangers, une machine économique poussive qui peine à générer des emplois, une inflation galopante, un pouvoir d’achat du consommateur usé jusqu’à la corde et les implications graves que toutes ces pannes systémiques ont engendrées et ce qu’elles peuvent entraîner encore comme autres dysfonctionnements…

À toutes ces crises, à toutes ces urgences plus que pressantes, il n’y aurait donc pas de réponse. Nos politiciens – tous ! – n’ont à l’esprit que les scrutins législatifs et présidentiel de 2019. Que le pays se vide par plusieurs dizaines de milliers de ses hauts cadres, que d’autres milliers de nos jeunes concitoyens choisissent de jeter à la mer pour atteindre illégalement l’Europe ou que l’écrasante majorité des électeurs ont tourné le dos aux urnes… toutes ces expressions du désenchantement généralisé semblent importer peu aux dirigeants du pays.

Que reste-t-il de la success story tunisienne, celle qui a laissé croire que l’exception et le génie tunisiens peuvent réussir là où les autres ont échoué? Où va la Tunisie? Espérons que ce ne sera pas dans le mur…

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