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Le poème du dimanche: «J’habite une douleur» de René Char

Ce poème du grand poète et résistant français René Char fait partie d’un recueil qui a pour titre “Le Poème Pulvérisé” rassemblant des textes écrits dans la période 1945-1947, les années d’après-guerre.

Né le 14 juin 1907 à L’Isle-sur-la-Sorgue, commune du Vaucluse dont son père fut le maire, René Char fut pendant l’Occupation un grand résistant sous le nom de «Capitaine Alexandre». Il dira de la Résistance française à l’occupation allemande que c’est une «école de douleur et d’espérance».

Il fut marqué par les grands poètes que furent Alfred de Vigny, Gérard de Nerval et Charles Baudelaire, mais aussi Rimbaud, Mallarmé et Lautréamont. Le grand écrivain Albert Camus disait de Char dont il était l’ami : «Je tiens René Char pour notre plus grand poète vivant.» Le poète s’est éteint le 19 février 1988 à Paris laissant à la postérité une œuvre poétique prolifique.

Le présent poème ‘‘J’habite une douleur’’ revêtait pour lui une importance particulière, René Char écrivit à son propos: «C’est là, je crois, l’un de mes poèmes les plus ‘‘achevés’’; l’aliment qui le compose ne se détériora pas, ne toucha la moelle de l’air que complètement ‘‘enveloppé’’. J’étais à cet instant lourd de mille ans de poésie et de détresse antérieure. Il fallait que je l’exprime. J’ai pris ma tête comme on saisit une motte de sel et je l’ai littéralement pulvérisée… De cette illusion atroce est né ‘‘J’habite une douleur’’, plus quelque calme.»

* * *

Ne laisse pas le soin de gouverner ton cœur à ces tendresses parentes de l’automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L’œil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau : tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n’a plus de vitres. Tu es impatient de t’unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D’autres chanteront l’incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t’identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l’impossible.

Pourtant.

Tu n’as fait qu’augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d’une entente qui s’affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. A quand la récolte de l’abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu croix voir passer la beauté au dessus des lavandes noires …

Qu’est-ce qui t’a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre ?

Il n’y a pas de siège pur.

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