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Rencontre avec les lauréats des 23e Prix Comar d’Or : Le roman fait toujours débat

La rencontre avec les lauréats de la 23e édition des Prix Comar d’Or du roman tunisien, vendredi 24 mai 2019, au siège des Assurances Comar à Tunis, a été une occasion pour évaluer la moisson de la saison et discuter avec le public de la situation de l’écriture romanesque, de la littérature et de l’édition en Tunisie.

Par Zohra Abid

Cette rencontre-débat devenue traditionnelle s’est tenue en présence des lauréats de la cuvée 2019, des critiques, des représentants des médias, des éditeurs et des lecteurs.

La Comar et la culture du mécénat

Mettant la rencontre dans son cadre, Lotfi Haj Kacem, directeur général adjoint des Assurances Comar, a rappelé que le prix du roman tunisien en langues arabe et française a, depuis sa création en 1997, participé à l’animation de la vie littéraire dans le pays.

En 23 ans, les membres des différents jurys ont eu à examiner 754 romans dont 489 en arabe et ont décerné pas moins de 143 prix, a précisé M. Kacem, qui a tenu également à souligner que la Comar est une entreprise privée qui tient à honorer sa vocation sociétale et son rôle de mécène au service de la culture ou du sport, en organisant, notamment, les Prix Comar du roman et le Marathon Comar de Tunis-Carthage, rendez-vous annuel qui draine des athlètes du monde entier et participe à l’animation sportive, touristique et culturelle du Grand-Tunis. La Comar s’associe également à plusieurs autres événements et actions organisés par ses partenaires.

Cette culture du mécénat a été mise en place au sein de l’entreprise par son fondateur, Rachid Ben Yedder, qui nous a quittés en juillet dernier. C’est d’ailleurs à sa mémoire que l’actuelle session a été dédiée.

Les Prix Comar doivent également beaucoup à leur fondateur, Rachid Ben Jemia, assureur et homme de culture, féru de cinéma et de littérature, qui en a pris l’initiative et a veillé, deux décennies durant, à en assurer l’évolution et le rayonnement.

Les membres des deux jurys ont souligné, eux aussi, l’impact positif des Prix Comar d’Or sur la création romanesque en Tunisie sur les plans aussi bien quantitatif que qualitatif. Aux premières années, ils avaient à examiner tout au plus une vingtaine de romans dans les deux langues, aujourd’hui, la moisson tourne autour d’une cinquantaine de romans. La qualité a également suivi et plusieurs romans primés par la Comar ont eu, par la suite des distinctions internationales.

Le plaisir des histoires et des mots pour les dire

Les éditeurs et les libraires, de leur côté, affirment que les Prix Comar d’Or boostent les ventes et encouragent, à la fois, l’écriture, l’édition et la lecture. Ils créent une certaine dynamique éditoriale autour du roman, un genre majeur qui attire des auteurs de divers horizons sociaux et professionnels : enseignants universitaires, ingénieurs, médecins, juristes ou autres. On écrit pour s’exprimer, pour prendre position ou pour témoigner d’un vécu ou d’une expérience, mais on écrit, surtout, pour le plaisir d’écrire et, aussi, de partager des histoires et des mots pour les dire.

«Il s’agit d’un prix qui encourage l’écriture romanesque. Mais le prix n’est pas une fin en soi. On ne s’arrête pas d’écrire une fois qu’on est primé. On est plutôt incité à poursuivre pour prouver qu’on a mérité d’être primé. Le prix met les romanciers sous les feux de la rampe et c’est une occasion pour qu’on parle de leurs romans dans les médias et qu’on les invite dans les maisons de culture. Et ce n’est pas rien», dira Abdelwahed Brahem, l’un des membres du jury.

Eviter les éditions à compte d’auteur

Pour l’universitaire Kamel Ben Ouanes, critique littéraire et membre du jury, il n’est pas toujours facile de trancher entre des romans de qualité semblable. «En tant que jury, nous sommes séduits par la diversité, mais on a toujours un pincement au cœur au moment de trancher. Car, il y a des textes écartés, mais on n’exclut nullement leur qualité intrinsèque. Parfois, ils sont bons voire très bons mais ils sont desservis par la mauvaise qualité de l’édition. Et c’est là un problème récurrent», explique l’universitaire.

Souvent, des fautes d’orthographe, de grammaire ou simplement des coquilles font taches et nuisent au plaisir de la lecture. Cela est fréquent dans les romans publiés par des maisons d’édition comme dans ceux édités à compte d’auteur, fait remarquer, de son côté, l’animatrice de débats politiques sur la chaîne privée El Hiwar Ettounsi, Myriam Belkadhi, également membre du jury. «Et c’est vraiment dommage, car certains romans ne manquent pas d’intérêt littéraire», regrette-t-elle.

Abondant dans le même sens, la romancière Massouda Boubaker, présidente du jury pour les romans en langue arabe, s’est demandée si les organisateurs du prix ne vont pas être amenés à ne plus accepter les romans édités à compte d’auteur.

Slaheddine Ladjimi et Lotfi Haj Kacem.

Moncef Chebbi, patron des éditions Arabesques – qui édite près de 80 titres par an avec des moyens assez limités, dit-il –, a souligné, pour sa part, l’absence, en Tunisie, d’institutions spécialisées dans la formation des techniciens spécialisés dans la lecture, la correction et la réécriture des livres. Il y a, certes, dans la plupart des maisons d’édition, des comités de lecture et de correction, mais leurs membres ne sont pas forcément des spécialistes. Ce sont souvent des enseignants.

Les romanciers primés ont profité de l’occasion pour parler chacun de son roman, de ses sources d’inspiration, des motivations l’ayant amené à l’écriture et de sa conception du roman. On a parle d’envie d’écrire, de liberté de ton, de style, de rythme, de musicalité, de liens entre l’écrit et le vécu, entre les histoires et l’Histoire, le pluriel et le singulier dans chaque œuvre, et ce qui permet au courant de passer entre l’auteur et le lecteur : la force des mots, l’intensité des émotions, et la capacité d’identification aux situations et aux personnages.

L’assistance était certes timide à cause sans doute des fortes pluies qui se sont abattues, ce soir-là, sur Tunis, mais on a eu droit à des interventions de bonne facture, qui ont rehaussé le débat. Le mot de la fin sera donné à Slaheddine Ladjimi, président des conseils d’administration des Assurances Comar et de sa filiale Hayett, un fin lecteur: «Dans la bibliothèque de la Comar, il y a de très bons romans et de belles histoires à lire et à partager, et c’est pour nous une véritable richesse», dira-t-il.

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