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Après les inondations du Grand-Tunis : Pour un débat sur les vertus de la maintenance

Un regard d’ensemble sur les catastrophes naturelles et accidents qui ont eu lieu, ces derniers mois, dans le pays révèle une carence majeure en matière d’entretien des bâtiments publics et de maintenance des voiries. De l’avis d’observateurs de la scène tunisienne, ces catastrophes auraient pu être évitées, atténuées, et à la limite, mieux gérées, une fois survenues, si le pays avait investi dans la généralisation d’une culture de la maintenance.

Par Khémaies Krimi

Une maintenance régulière, efficace et préventive permet une utilisation plus longue des bâtiments d’utilité publique comme les barrages, stades, salles de sport, hôpitaux, écoles…

Par contre, un manque de maintenance entraîne une dégradation accélérée des biens publics avec comme corollaire des coûts élevés à long terme, sous forme de réparations ou de rénovations onéreuses.

Trois récents épisodes édifiants

Trois récents épisodes illustrent de manière éloquente l’ampleur des dégâts et le manque à gagner pour l’Etat par l’effet de l’absence de maintenance.

Le premier épisode remonte au 12 août 2019, jour de célébration de la fête de l’Aïd El Idha, très attendue par les Tunisiens, et au cours de laquelle le pays a connu des coupures de l’eau potable distribuée par la Société nationale d’exploitation et de distribution de l’eau (Sonede), dans de nombreuses villes et régions du pays.

À l’origine de ces coupures, la vétusté du réseau et l’absence de maintenance des stations de pompage, et ce, en dépit, des justifications fallacieuses de la Sonede qui a parlé de «pointe de chaleur», de «canicule exceptionnelle» et de «surconsommation».

Pourtant, depuis des années, cette déficience de la maintenance du réseau d’adduction d’eau potable est constamment dénoncée par les experts. Pour l’ingénieure militante Raoudha Gafrej, «le problème de l’alimentation en eau potable réside dans la mauvaise gouvernance du secteur de l’eau en Tunisie et dans le gaspillage de cette ressource par l’effet de la vétusté du réseau de la Sonede». D’après elle, quelque 40.000 conduites seraient hors usage.0
Interrogé sur ce dossier, le PDG de la Sonede, Mosbeh Helali a reconnu les faits et indiqué à la presse que sur un total de 1200 kms de canalisations devant être rénovées, annuellement, la Sonede ne peut en réaliser que 120 kms par an.

Le deuxième épisode est celui des intempéries du 8 septembre et du 28 octobre 2019. En attendant l’accalmie promise par la météo pour ce jeudi 31 octobre, les pluies torrentielles qui se sont abattues sur plusieurs régions du pays, particulièrement sur le Grand-Tunis, ont certes fragilisé l’infrastructure urbaine mais ont surtout mis à nu des carences très préjudiciables assassines en matière de maintenance des voiries.

Ces intempéries d’automne, qui ont de plus en plus ces dernières années, des caractéristiques de pluies tropicales ont, déjà, causé d’énormes dégâts à des quartiers populaires sous équipés.

À l’origine de l’ampleur des dégâts occasionnés : l’habitat anarchique sur les lits d’oueds, l’inexistence de politiques crédibles pour protéger les populations urbaines contre les inondations et l’absence totale de stratégies de maintenance des canalisations et autres ouvrages dédiés à l’évacuation des eaux pluviales.

Pour ne citer que quelques exemples, il est inadmissible que des villes qui donnent sur la mer comme Bizerte, Sousse, Nabeul, Monastir… connaissent régulièrement des inondations dès les premières pluies d’automne. Les eaux pluviales de ces cités doivent être en principe acheminées vers la mer.

Face à cette situation catastrophique, les services du ministère de l’Equipement, de l’environnement (Office national d’assainissement, Onas) et les municipalités se renvoient la balle pour se disculper.

Le troisième épisode remonte à la soirée du lundi 21 octobre 2019 au cours de laquelle un incendie a ravagé une partie de la Coupole d’El-Menzah dénommée communément le Palais des sports. Les vraies raisons derrière l’incendie restent inconnues, mais le coût des réparations sera exorbitant, selon des estimations établies par des experts. Il avoisinerait le coût de la construction de toute la Cité olympique en 1967.

Interpellé sur cette question par l’animateur d’une émission sportive sur une chaîne privée, dans la soirée du 28 octobre 2019, le directeur général de la Cité sportive nationale, Tarek Al-Farjaoui, a déploré l’absence de contrat de maintenance depuis 2011. D’après lui, la dernière opération d’entretien de cette installation sportive construite, à l’occasion, des Jeux Méditerranéens de 1967, remonte à 2002. C’est à peine croyable…

La maintenance ou l’art de faire des économies

Cela pour dire qu’au delà de ces trois catastrophes qui vont coûter très cher à l’Etat et au contribuable, la maintenance a intérêt à être valorisée et érigée en véritable stratégie. Elle est le créneau le mieux indiqué pour garantir la durabilité des ouvrages publics.

Est-il-besoin de rappeler ici qu’actuellement, les services de maintenance ou d’entretien en Tunisie sont sous-considérés par l’écrasante majorité de nos ministères et entreprises qu’elles soient publiques ou privées. Les premiers responsables de ces institutions, par inculture, trouvent un vilain plaisir à y affecter les agents les plus incompétents, les plus «je-m’en-foutistes», les plus indisciplinés, voire, des «cas sociaux» pour qui ces services sont tout simplement une planque.

La maintenance est également fortement recommandée pour améliorer la productivité, c’est-à-dire l’effort à fournir aux fins de comprimer les coûts, de produire mieux et plus avec le même investissement, le même nombre de travailleurs et les mêmes équipements.

Pour peu qu’il soit bien mené, cet effort peut se traduire, selon les experts du FMI, par trois points de croissance par an. Comme on le voit, l’enjeu est de taille.

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