La pandémie du coronavirus (Covid-19) relève d’une situation d’urgence sanitaire publique, mais elle est bien plus que cela, c’est à la fois une crise économique, sociale et humaine qui se transforme rapidement en crise des droits humains.
Par Najet Zammouri *
Si les droits de l’homme sont bafoués dans les conditions ordinaires que dire alors dans les circonstances exceptionnelles de la lutte contre la pandémie du Covid-19?
Les actions et les mesures des gouvernements du monde entier imposant des restrictions aux droits humains sont inquiétantes, d’autant plus que ces mesures trouvent souvent un soutien populaire aguiché par l’instinct de survie, justifié par la quête de sécurité malgré le recours inutile ou excessif à la force de la part des forces de sécurité contre quelques jeunes qui s’attardent dans les rues après l’heure ultime du couvre-feu.
La démocratie soumise à un test difficile
Plus ces mesures d’urgence s’étendent, plus les autorités se trouvent dotés de pouvoirs exceptionnels au détriment des lois et de la constitution, ce qui fait que la démocratie, déjà fragile, est soumise à un test difficile : les contrôles sur le gouvernement s’affaiblissent et reculent, le parlement et les législateurs déjà divisés, disparaissent sous prétexte de l’intérêt général de l’Etat. La scène de véhicules policiers et militaires errant autour, et les agents des services de l’ordre sillonnant les rues, devient familière.
Après la promulgation de la loi sur «l’état d’urgence sanitaire», destinée à lutter contre le coronavirus, la Tunisie ,comme tous les autres pays du monde, est à nouveau entrée dans un régime d’exception qui prévoit, pour encadrer le confinement, des mesures strictes limitant la liberté d’aller et venir, de réunion et d’entreprendre, de sorte que les pauvres, les marginalisés et les groupes les plus vulnérables tombent dans la précarité et ne trouvent pas un accès aux soins de santé essentielle. D’autant plus que les personnes vulnérables comme les enfants ou les femmes victimes de violences conjugales courent désormais plus de risques au sein de leur foyer puisque leurs échappatoires (école, travail, loisirs) ne sont plus accessibles. De ce fait, aucun adulte extérieur au cercle familial ne pourra repérer les signes de maltraitance et de violences et les signale et aucune possibilité d’enfreindre le couvre-feu pour trouver refuge ailleurs.
Le milieu carcéral constitue un défi pour les autorités
Le milieu carcéral, déjà propice à la flambée de toute maladie contagieuse en raison de la promiscuité, de l’insalubrité, de l’accès souvent difficile aux soins et de la vulnérabilité des personnes longtemps privées de liberté, constitue lui aussi un défi extrême pour les autorités qui sont appelées à en relâcher les personnes âgées, malades ou peu dangereuses.
En outre, les mesures de confinement général adoptées ont un impact important sur la vie et les droits des personnes migrantes et réfugiés. Ce contexte inédit vient renforcer la situation de précarité économique, d’exclusion sociale et de fragilité psychologique à laquelle l’Etat doit déjà faire face au quotidien, de même que les travailleurs tunisiens en Libye, qui se sont retrouvés bloqués aux frontières et dorment au désert en attendant un rapatriement qui ne vient pas suite à la décision de fermer les frontières terrestres tuniso-libyennes pour éviter la propagation du Covid-19.
La situation des ressortissants tunisiens en Libye reflète un traitement injuste de l’État tunisien envers ses ressortissants, puisque les autorités n’ont pas agi avec une efficience suffisante contrairement avec ceux qui ont été rapatriés de l’Europe, de l’Amérique ou d’Asie, malgré l’organisation de rapatriement début avril.
Les droits humains au cœur des urgences d’aujourd’hui
Autre exemple des abus imposés par le Covid-19 est la fameuse affaire des bavettes qui a été banalisée par des hauts responsables du gouvernement sous prétexte de la recherche de l’efficience dans une situation exceptionnelle. Pourtant, cette affaire est susceptible de constituer un conflit d’intérêts conformément aux dispositions de l’article 20 de la loi numéro 40 de l’année 2018, relative à la déclaration du patrimoine et aux conflits d’intérêts, ainsi qu’aux dispositions de l’article 25 du règlement intérieur de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
En somme, la pandémie de Covid-19 relève d’une situation d’urgence sanitaire publique, mais elle est bien plus que cela, c’est à la fois une crise économique, sociale et humaine qui se transforme rapidement en crise des droits humains. En respectant les droits humains en cette période de crise, nous mettrons en place des solutions plus efficaces et plus inclusives pour l’urgence d’aujourd’hui, et le relèvement de demain.
* Membre du comité directeur de la LTDH.
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