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Tunisie : Il est temps de «dégager» les bourreaux de la santé publique !

Siège du ministère de la Santé, à Bab Saadoun (Tunis).

Dignes successeurs du grand Caton l’ancien auquel on attribue l’idée de la destruction de la toute puissante Carthage au cours de la troisième guerre punique («Carthago delenda est !»), ces bourreaux des établissements publics de santé ne cessent depuis plus de 10 ans de réduire en ruine les efforts colossaux déployés par leurs maîtres qui ont hissé la médecine tunisienne sur les plus hautes marches du savoir.

Par Pr Fathi El Younsi *

Depuis l’avènement de cette funeste révolution, la terrifiante passivité de toutes les autorités concernées, de la présidence du gouvernement au ministère de la Santé, en passant par le Conseil national de l’ordre des médecins, le ministère de l’Enseignement supérieur et l’Instance nationale de lutte contre la corruption, alertées à maintes reprises à travers des courriers ou des publications dans la plupart des journaux de la place sur l’étendue du désastre qui frappe de plein fouet nos hôpitaux, ne peut susciter en nous que de l’horreur et de la stupéfaction, profondément dubitatifs sur la crédibilité que peut accorder le citoyen tunisien à ses propres institutions.**

L’incompétence, le copinage et le favoritisme détruisent l’hôpital public

De quel droit reconduit-on presque tacitement, avec une indécence et une arrogance hors du commun, un chef de service jusqu’à l’âge de 70 ans, 5 ans au-delà de l’âge légal de la retraite à la tête d’un service de médecine interne alors qu’il est réanimateur de formation, se voyant de surcroît attribuer une unité de recherche en immunologie depuis une dizaine d’années (sic !), en conflit permanent avec un personnel paramédical qui ne lui voue aucun respect, le ridiculisant à tout bout de champ au point de porter l’affaire devant les tribunaux, passant sous silence tous les dépassements d’une activité privée complémentaire (APC) sauvage et d’un hôpital de jour taillé sur mesure, indifférent à toute la saleté qui envahit l’unité d’hémodialyse et favorise la transmission des infections nosocomiales, insoucieux de l’absence de grande visite hebdomadaire des malades depuis plusieurs années avec un encadrement des jeunes médecins laissant à désirer, jouant des coudes pour se présenter aux premiers rangs en apparat de bloc opératoire à chaque visite de l’autorité de tutelle à l’hôpital…?

Bref, un comportement honteux, loin d’être unique en son genre, où la mesquinerie et l’ignominie occupent le premier plan. Voilà un concentré non exhaustif des effets profondément délétères de choix arbitraires, fondés exclusivement sur des considérations politiques malsaines, sur l’incompétence, le copinage et le favoritisme d’une époque que l’on croyait naïvement révolue.

Des leçons précieuses doivent être tirées de la pandémie du coronavirus

Mon récit n’est pas une diatribe, loin s’en faut, mais une description aussi réelle que possible du triste vécu quotidien et un appel déchirant, en cette période de crise sanitaire sans précédent, à messieurs le chef du gouvernement, le ministre de la Santé, le ministre auprès du chef du gouvernement chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, le président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, pour crier haut et fort que l’heure est grave et que des leçons précieuses doivent être tirées de cette pandémie du coronavirus; «à quelque chose malheur est bon , car si le malheur n’abat point, il instruit», n’est ce pas?

Cette «armée blanche» que soudain tout le monde se plait à nommer de la sorte, à applaudir chaudement et même à chanter élogieusement, sortie de l’anonymat comme par miracle, est effectivement composée de vaillants médecins hospitaliers qui livrent quotidiennement, en toute discrétion et avec les moyens du bord qui sont extrêmement limités depuis longtemps, des batailles permanentes et acharnées contre le mal et la mort; la guerre contre le coronavirus n’est qu’un énième défi qu’ils remporteront sans aucun doute avec tous les honneurs et toute la gloire habituels, loin, très loin des feux de la rampe et des discours dithyrambiques.

La vraie guerre contre la médiocrité, l’opportunisme et l’incompétence

Mais la vraie guerre qu’ils aimeraient effectivement remporter est celle contre la médiocrité, l’opportunisme et l’incompétence qui gangrènent nos institutions et les empêchent de retrouver leur rayonnement d’antan, revendiquant seulement de travailler dans des conditions dignes, à la hauteur de leurs ambitions et de la réputation de la médecine tunisienne, à l’abri des spéculations et des considérations vénales et de la cupidité que certains en ont fait leur véritable feuille de route et leur fond de commerce.

Nous sommes à la croisée des chemins, soit celui des vraies réformes en profondeur, donnant la priorité absolue à un secteur public propre et éliminant impitoyablement toute l’ivraie qui a ostensiblement envahi notre bon grain millénaire, soit poursuivre les calamiteuses politiques antérieures qui détruiront définitivement et à très courte échéance le peu de tissu public de santé viable qui a fait autrefois notre fierté parmi les nations.

La peur effroyable déclenchée par cette pandémie du Covid-19 nous donnera-t-elle enfin suffisamment de courage pour affronter les difficultés à venir et autant d’audace pour prendre les décisions qui s’imposent, dictées uniquement par un profond sentiment de responsabilité et de patriotisme?

Monsieur le ministre de la Santé, messieurs les décideurs, ce scénario macabre, dans lequel se trouve empêtré le secteur public de la santé depuis des lustres, a excessivement duré; le devoir national vous somme d’y mettre définitivement fin et d’accorder à ce secteur toute la préemption requise.

Il y va du salut de notre nation. Que Dieu la protège!

* Professeur hospitalo-universitaire.

** Le titre et les intertitres sont de la rédaction. Le titre original de l’article «Nosocomium Delenda Est… ?»

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