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Tunisie : Osons réanimer une école publique en perdition !

Des lycées désespérément vides. Des formations lacunaires et biaisées.

Bien qu’il ait annoncé que l’année scolaire était close (soit six mois de vacances pour tous !), le ministère de l’Education tunisien devrait remobiliser enseignants, élèves et parents en mettant en œuvre une stratégie d’urgence pour sauver l’année scolaire 2019-2020 et réanimer une école publique en perdition.

Par Mustapha Ennaïfar *

L’année scolaire 2019-2020 est en train de s’écouler et le niveau de la majorité des élèves tunisiens de stagner, peut-être pour certains de s’écrouler.

Bien sûr, grâce à la formule comptable opportunément mise au point par les instances ministérielles, nous arriverons à faire en sorte que les moyennes annuelles des élèves et les taux nationaux de passage dans les classes supérieures restent stables. Mais nous, éducateurs, enseignants, dirigeants et gestionnaires du système éducatif, aurons-nous la conscience tranquille? Aurons-nous accompli honnêtement notre mission? Les savoirs de nos élèves se seront-ils réellement accrus et leurs compétences développées au niveau requis par les programmes officiels? Ces moyennes tronquées rendront-elles compte, objectivement, du niveau de nos élèves au terme de l’année scolaire 2019-2020?

La qualité des études et du système éducatif doit être préservée

On dira que l’on ne pouvait pas faire autrement, que c’est la faute au coronavirus. Cela est vrai. Mais il y a toujours eu et il y aura toujours des événements imprévus (crises politiques, grèves, révoltes des élèves, perturbations météorologiques, etc.) qui viendront freiner ou bloquer le bon déroulement des cours. La mission des responsables et gestionnaires du système éducatif est justement d’y faire face pour que la qualité des études et du système éducatif soit préservée.

À propos de la fermeture des écoles et de l’arrêt des cours en présentiel, j’ai eu l’occasion décrire dans une tribune publiée sur Kapitalis le 23 avril 2020, que si le ministère de l’Education avait pris des mesures positives concernant les candidats au bac, les élèves des autres niveaux des écoles primaires, des collèges et des lycées ont été abandonnés à eux-mêmes. Le ministère a justifié son refus de la formation à distance via internet par le souci de préserver l’équité sociale (il est vrai que tous les élèves n’ont pas d’ordinateur ou d’accès à internet). Mais ce souci peut-il servir comme alibi, pour renoncer à mettre en œuvre des solutions alternatives à la formation présentielle?

Ainsi la formation à distance organisée selon diverses modalités, pour toucher, sans doute pas la totalité mais une majorité d’élèves, comme cela a été fait dans divers pays et soutenu par l’Unesco, cela ne vaut-il pas mieux que le néant pour tous? Il aurait été possible, en outre, de mobiliser intelligence collective et initiatives régionales et locales pour contacter les élèves et leurs parents, recourir à diverses procédures de contact et de suivi autres que numériques (SMS, téléphone, porte-à-porte si nécessaire) et organiser, par la suite, des sessions de rattrapage pour les élèves qui n’auraient pu en bénéficier. Bref, on pouvait garder l’année scolaire ouverte et la formation se poursuivre.

Ne pas imposer la médiocrité, mais favoriser l’ambition et la réussite

Face à l’épidémie du coronavirus, le gouvernement actuel a beaucoup fait. Il a su, dans plusieurs domaines (santé, sécurité, solidarité sociale, finance, etc.) faire le bon diagnostic, imaginer des solutions nouvelles, recourir aux nouvelles technologies de la communication mais aussi au porte-à-porte pour apporter secours ou nourriture et faire appel à la société civile. Par contre, dans le secteur de l’éducation, il faut le reconnaître, ni le ministère, ni les partis politiques, ni les syndicats de l’enseignement, ni la société civile n’ont su faire face.

En décidant ou en acceptant la clôture, prématurée, de l’année scolaire, c’est malheureusement la voie de la facilité et du renoncement qui a été choisie. Or, l’équité en éducation, ce n’est pas imposer la médiocrité pour tous mais tout faire pour favoriser l’ambition et la réussite de tous.

Alors interrogeons-nous : ne sommes-nous pas en train de nous obstiner à appliquer (démagogiquement ou inconsciemment) la politique de camouflage des insuffisances constatées dans la formation de nos élèves et dans les performances de notre système éducatif, politique commencée bien avant 2011 et poursuivie depuis? Ne sommes-nous pas coupables de laisser se dégrader notre système éducatif public ?

En effet, après la révolution de 2011, le ministère de l’Education a mis en sommeil puis démantelé des composantes essentielles du dispositif de suivi et d’évaluation de notre système éducatif. Cette politique était paradoxale, nous attendions que le changement de régime s’accompagne d’un sursaut dans la gouvernance de ce secteur en voie de détérioration : qu’il y ait plus d’honnêteté, d’objectivité, de transparence et de pertinence dans son pilotage et sa gestion. Or c’est l’inverse qui s’était produit.

Il faut remobiliser enseignants, élèves et parents

J’évoquerai à titre d’exemple les graves fautes commises ces dernières années par le ministère de l’Education, avec le retrait de la Tunisie des évaluations internationales comparées (TIMMS en 2013 et PISA en 2018), qui nous a privés d’outils pour mesurer les performances de notre système éducatif, pour les comparer à ceux de 79 pays et pour identifier ses forces et ses faiblesses.

Alors que de plus en plus de pays (dont des pays arabes) participent à ces évaluations internationales, indispensables de nos jours pour piloter et faire progresser un système éducatif, la Tunisie qui y participait depuis 2003, s’en est retirée. Les dernières sessions auxquelles la Tunisie a participé ont démontré que les élèves tunisiens de 15 ans avaient au moins une année et demie de retard en maths et sciences, comparativement à des élèves japonais ou sud-coréens du même âge. Dès lors, qu’en sera-t-il après la pandémie?

Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il est toujours possible de rebrousser chemin lorsqu’on s’est fourvoyé. Chaque jour, face aux conséquences imprévues de la pandémie, on voit les Etats, les autorités publiques hésiter, décider, puis sans honte, reconnaître s’être trompé et changer d’option par pragmatisme.

C’est pourquoi, et bien qu’il ait annoncé que l’année scolaire était close (soit six mois de vacances pour tous !), le ministère de l’Education tunisien devrait et pourrait remobiliser enseignants, élèves et parents en concevant et mettant en œuvre une stratégie d’urgence pour sauver l’année scolaire 2019-20 et réanimer l’école publique.

* Consultant en éducation.

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