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L’Algérie de nouveau aux prises avec le débat identitaire

Chassée par la porte dans la lettre de mission présidentielle délimitant le champ des amendements qu’il sollicite pour la révision de la Constitution, la laïcité a été introduite par la fenêtre dans une tentative des courants libéraux et laïques de remettre en cause les constantes nationales: islam, arabité, amazighité, fondements de l’Etat algérien.

Par Hassen Zenati

Entre citoyenneté et laïcité, la polémique, jamais éteinte depuis l’indépendance en 1962, a resurgi à la faveur de la déclaration d’un membre du Comité d’experts chargé par le président Abdelmadjid Tebboune de proposer des amendements pour réviser la Constitution en vigueur. La lettre de mission présidentielle excluait du champ des amendements les éléments de l’identité nationale : islam, arabité, amazighité, considérés comme des «constantes» intangibles.

Dans un entretien publié par le quotidien ‘‘Liberté’’, Walid Aggoune, rapporteur du Comité d’experts chargé de la révision constitutionnelle, soulignant qu’«une constitution est faite pour des citoyens et non des croyants», a regretté que «la question de la citoyenneté ne soit pas encore réglée dans notre pays». «L’idée de citoyenneté n’est pas encore admise, a-t-il dit, vous pouvez être Algérien, sans être Amazigh, Arabe ou Musulman. Mais ce sont des équilibres précaires qu’il ne faut pas toucher pour l’instant», a-t-il poursuivi, se ralliant ainsi à l’approche présidentielle.

Le «socle intangible» des éléments identitaires

Cette déclaration a immédiatement ravivé la polémique, rapidement circonscrite, cependant, sur la place de l’islam et de l’arabité dans la constitution. Alors que le chef de l’Etat s’est prononcé pour que le «socle intangible» des éléments identitaires du pays soit enrichi dans la constitution amendée par l’introduction de tamazight à côté de l’islam et de la langue arabe, les courants libéraux et laïques estiment que ces éléments identitaires n’ont pas leur place dans la loi fondamentale..

Justifiant l’approche présidentielle, la constitutionnaliste Fatiha Benabou s’est opposée à l’approche libérale et laïque en expliquant que s’agissant d’une révision de la Constitution en vigueur et non d’une nouvelle, le projet d’amendement «doit être solidaire de la philosophie générale du texte qu’il prétend réviser. Dès lors, il ne doit pas toucher au noyau de la Loi fondamentale, notamment celui qui est relatif aux composantes de l’identité nationale et au vivre ensemble. D’ailleurs, la lettre de mission du président a retiré (cette prérogative) au Comité d’experts».

Membre d’un panel politique chargé de proposer une sortie de crise après la démission forcée du président Abdelaziz Bouteflika en avril 2019, Mme Benabou, opposée au régime déchu, s’était prononcée alors contre la convocation d’une assemblée constituante, réclamée par les partis de l’opposition libérale et laïque, en expliquant craindre que des «forces centrifuges aux aguets» n’en profitent pour «pousser à l’éclatement du pays», dans une claire allusion aux autonomistes, partisans du fédéralisme. Vivement critiquée sur la toile par des activistes du «hirak», elle estimait par ailleurs que les questions identitaires et religieuses ne devraient pas être abordées dans une révision constitutionnelle, mais qu’il ne s’agit pas de s’en «débarrasser», car «c’est le patrimoine commun de tous les Algériens».

Dénonciation de la «dictature» de la «minorité franco-laïque»

Les critiques les plus virulentes contre les approches libérale et laïque sont venues des milieux islamiques et arabophones. Editorialiste du quotidien arabophone ‘‘Echourouk’’, Hocine Laqrâa, estimant que le experts «promettent la disparition progressive à terme des éléments identitaires dans la constitution amendée pour que n’y subsiste que la notion de citoyenneté, comme si citoyenneté et identité se contredisent», dénonce le courant laïque qui, dit-il, «s’obstine dans ses tentatives acharnées consistant à déraciner l’Algérie de son identité arabe, islamique et amazighe».

«Depuis le début de l’expérience démocratique (1989), ajoute-t-il, la minorité franco-laïque s’emploie sans aucune trêve à occidentaliser l’Algérie en l’arrachant à ses racines civilisationnelles. Il y a longtemps que cette minorité demande l’abrogation de l’article 2 de la Constitution (énonçant que l’islam est la religion de l’Etat), pour le remplacer d’un autre article établissant la liberté de religion, bien que toutes les Constitutions algériennes depuis l’indépendance aient reconnu la liberté du culte, dans le cadre de la loi, et qu’il n’existe aucune contradiction entre la religion de l’Etat et la liberté de culte pour l’individu. N’est-ce pas pour cette minorité une tentative d’imposer par la force sa dictature et son projet éradicateur de l’islam aux Algériens? Il en est de même de son appel pour amender l’article 3 (la langue arabe est la langue nationale et officielle) de la Constitution, afin que soit reconnue la pluralité linguistique. Cette demande a été pourtant prise en compte par l’institution (en 2016) de tamazight comme langue nationale et officielle. Mais il semble maintenant que ces planqués du pluralisme linguistique cherchent à constitutionnaliser la langue française comme langue officielle, comme s’il ne leur suffisait pas que le français soit devenue la langue officielle de fait du pays, grâce au pouvoir qu’ils ont acquis dans l’Etat, les institutions et les administrations publiques. En 58 ans d’indépendance, ils ont ainsi fait (pour le français), ce que le colonialisme n’a pu réaliser en 132 de colonisation», ajoute l’éditorialiste d’‘‘Echourouk’’.

«La plus grande catastrophe qui a frappé l’Algérie des martyrs depuis 58 ans est l’incrustation de cette minorité franco-laïque dans tous les rouages de l’Etat et la dictature qu’elle impose au peuple. S’il y avait une démocratie véritable dans le pays, cette minorité d’usurpateurs n’aurait pas un tel pouvoir. Elle n’aurait que deux choix : se soumettre à la majorité populaire attaquée dans sa religion, ses racines civilisationnelles et les éléments de son identité, ou bien s’exiler en France pour vivre en symbiose avec une société partageant ses vues éradicatrices, au lieu de chercher à imposer sa violence et ses provocations à ce peuple arabo-amazighe et musulman».

«Ces gens-là ne vivent pas avec les Algériens»

Dans une interpellation particulièrement virulente, un candidat à la candidature présidentielle du 12 décembre dernier (il n’a pas obtenu les cautions indispensables à la candidature), Farès Mesdour, économiste de formation, a accusé le président du Comité des experts, le juriste international Ahmed Laraba, et les membres de son Comité, de «porter une hostilité à l’égard de l’identité algérienne arabe, musulmane et amazighe».

«Il est étonnant qu’à chaque fois, il leur est fait appel malgré leur hostilité envers tout ce qui symbolise l’identité de ce peuple. Le plus étonnant c’est qu’ils s’expriment ainsi sans que personne ne leur demande des comptes. Ces propos ne sont pas seulement provocateurs. Ils sont méprisants envers tout un peuple. Ces gens-là ne vivent pas avec les Algériens, ils parlent français tandis que la langue arabe est interdite dans leurs foyers. Cette personne (Ahmed Laraba) est plus laïque que les laïcs», a-t-il ajouté.

Après avoir récusé cette déclaration, le président du Comité des experts, soutenu par le président de la République, qui l’a défendu comme «fils de chahid», a annoncé qu’il allait porter plainte contre M. Mesdour.

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