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L’histoire d’une prisonnière dans un 5 étoiles à Hammamet

Les tribulations d’une étudiante tunisienne rapatriée des Etats-Unis et confinée dans un hôtel où manque minimum de mesures d’hygiène et de confort pour un séjour moyennement acceptable. «C’est plutôt un centre de rétention», dit-elle.

Par Hejer Chraiti et Nadia Chaabane

C’est l’histoire d’une étudiante tunisienne qui prépare son doctorat aux Etats Unis à Los Angeles. Elle décide de rentrer en Tunisie cet été, comme beaucoup d’autres étudiants en général mais aussi parce qu’elle n’a pas vraiment d’autres choix en raison de la précarité de la situation et parce qu’elle a une enquête, dans le cadre de sa thèse, à finaliser en Tunisie.

Pendant des semaines elle a tenté de joindre l’ambassade de Tunisie pour s’informer sur les conditions et modalités de son rapatriement. Visiblement, l’ambassade était aux abonnés absents car elle n’a jamais réussi à les avoir. Deux jours avant son départ, un agent de l’ambassade l’a enfin rappelée mais pour lui confirmer les mesures publiées sur les sites officiels et qu’elle trouvait ambiguës, sans aucune explication ni information supplémentaire.

Impossibilité de respecter la distanciation physique dans les aéroports

Au bout de quelque temps, elle a réussi à réunir le prix de son billet et à trouver un vol pour Paris pour commencer et pour Tunis par la suite.

Heureuse de l’approche de dénouement de son calvaire et consciente de la nécessité de faire une semaine de confinement à l’hôtel car venant d’une zone à risque. Elle prend son vol de départ de Los Angeles passe les douanes américaines sans aucun problème son test en main et sa réservation de l’hôtel en Tunisie pour l’auto-confinement d’une semaine en poche. En arrivant à Paris c’était déjà un peu chaotique. Bousculade, aucune mesure de protection, distanciation physique non respectée…

Arrivée à Tunis, le même scénario se répète, bousculade, et aucune distanciation entre les voyageurs. Mais, le plus grave, il n’y avait aucune séparation des arrivants des zones vertes et rouges au niveau de l’arrivée. Après avoir été mélangées aux autres voyageurs avec l’impossibilité de respecter la distanciation physique, elle a vu des personnes, qui semblent être des volontaires qui ont commencé à appeler les gens pour séparer les voyageur/ses venant de la «zone rouge» ou de la «zone verte». D’ailleurs c’étaient les seul.es qui portaient des gants.

Au guichet, les agents ne portent pas de gants et traitent des centaines de passeports de toutes provenances en même temps. Ni le ministère de l’Intérieur ni les douanes n’ont l’air de se soucier de la santé de leurs agents.

Enfin, elle atteint la sortie de l’aéroport, il n’y a pas de bus pour acheminer les personnes concernées à leur hôtel/centre de confinement. Que faire dans pareil cas, hormis patienter et attendre qu’on veuille bien les prendre en charge. Au bout d’un moment, on leur demande de monter dans un bus mais on s’aperçoit que ce n’est pas le bon, on les change de bus.

Un hôtel où le minimum d’hygiène et de confort est absent

Arrivée à l’hôtel, elle perd espoir : il est sale, l’odeur de tabac y est partout, les draps et les oreillers sont sales et déchirés. Elle demande à les changer, mais les draps qu’elle aura sont aussi sales que les premiers. Personne à l’accueil aucune mesure de sécurité, elle et les autres Tunisiens dans sa situation sont livré/es à eux mêmes. Le minimum d’hygiène est inexistant mais comme le ménage n’a pas été fait dans les toilettes qui sont aussi sales, on a veillé à leur laisser un saut et un récipient d’eau de javel pour visiblement s’en charger eux-mêmes. On est dans un hôtel 5 étoiles paraît-il!

Au bout de 2 jours, elle a réussi à s’endormir en essayant d’oublier ses draps sales. Au petit matin, elle a été réveillée, non pas par l’odeur d’un café mais par une colonie de fournis qui a pris possession de sa chambre. Elle en avait sur le corps, et partout dans la salle de bain où il a fallu qu’elle joue «au saut de puce» malgré elle. Non pas qu’elle a peur des fourmis, ce sont des insectes nécessaires mais se réveiller avec des bestioles dans son lit même inoffensives a de quoi traumatiser les plus téméraires et, c’est loin d’être drôle pour celui qui est enfermé. C’est du reste loin d’être une chose normale dans un hôtel qui se targue d’avoir cinq étoiles. D’ailleurs on est bien en droit de se demander comment il a pu obtenir ce label !

Cette jeune femme, se retrouve prisonnière, sans sommeil, dans une chambre sale et sans interlocuteur à contacter en cas de problèmes. Bien sûr, le téléphone de la chambre est coupé et, si par malheur elle a un problème, elle n’a aucun moyen de joindre les secours.

Sa connexion internet marche par intermittence et elle est obligée de grimper sur une chaise contre la porte pour y accéder par moment. Elle a payé son hôtel avant de partir, 110 DT la nuit pour finalement se trouver sans aucun droit, pas même celui de se plaindre. Pourtant elle n’est pas censée payer puisqu’elle est étudiante et son retour au pays rentre dans le cadre de rapatriement et non des retours de Tunisiens résidents à l’étranger (TRE).

Un hôtel transformé en quasi centre de rétention

Elle a payé pour se retrouver retenue, enfermée, pendant une semaine privée des choses élémentaires telles que l’hygiène, dans une chambre qui ne se ferme pas de l’intérieur, du bruit et de la musique jusqu’à l’aube. Elle est privée de sommeil et de nourriture tenant compte de ses allergies (elle a des problèmes d’allergie au gluten et au lactose) et son état de santé. Afin d’avoir de l’eau et des draps propres, elle a dû appeler un ami qui s’est déplacé à son secours. Elle ne se sent pas en sécurité dans cet hôtel qui se transforme en quasi centre de rétention.

Elle n’est pas contre le confinement et le comprend, elle aussi a envie de protéger ses parents âgés et qui sont aussi des personnes vulnérables et ne veux pas prendre de risque mais à quel prix? Elle n’incrimine pas les salariés qui lui déposent ses repas tous les jours, ce sont de simples employés mais la direction de l’hôtel porte une grande responsabilité quant aux conditions d’accueil et les autorités sanitaires qui n’assurent pas.

Pourquoi accepter de rentrer dans ce type de programme mis en place par le gouvernement si c’est pour maltraiter les gens? De quel droit l’hôtel confisque-il les passeports des clients? Pourquoi le fameux comité Covid-19 continue-t-il à affirmer et à répéter qu’il s’occupait du suivi des personnes confinées et veillait à leur bien être alors que rien de tel dans ce cas précis? C’est juste de l’affichage qui ne coûte rien, juste des mots sans conséquence?

La jeune femme a demandé à voir un médecin car elle n’est pas bien, elle est en train de craquer dans sa petite chambre sale et pas du tout accueillante, on lui a répondu qu’elle avait droit à une visite de médecin mais seulement au bout de la semaine pour le test, alors que ce jour-là, une femme médecin était dans l’hôtel. Imaginons le cas d’une personne qui a un malaise, elle peut donc crever dans sa chambre en attendant la fin de sa semaine d’enfermement.

Le ministre de la santé et son équipe ne cessent de se vanter d’avoir réussi à vaincre l’épidémie et de maîtriser la situation alors qu’ils ne se montrent même pas capables d’organiser deux files d’attentes dans un aéroport pour réduire les contacts et les risques. Même pas capables de veiller au bien être des personnes qui sont mises en confinement dans des hôtels ni de leur garantir un minimum de dignité. Les faits sont têtus et attestent de l’hypocrisie d’un discours qui n’a aucun rapport avec la réalité de certaines situations.

Les prisonniers ont plus de droits que certains de nos concitoyens qui arrivent de l’étranger. Le choix du mot prisonnier n’est ni une exagération ni une provocation, mais juste un constat car en l’occurrence la jeune étudiante a été privée de ses droits les plus élémentaires sans passage devant un juge mais des suites d’un traitement dégradant dans un hôtel avec qui l’Etat a conclu un accord sans s’assurer que les personnes ne subissent ni préjudices, ni maltraitance et que les conditions de vie minimum y soient respectées. Un accord dont les effets sur l’intéressée seront, d’ordre traumatique et lourds à porter par la suite.

Combien de personnes se trouvent comme cette jeune femme, maltraitées en raison du fait qu’elles reviennent de l’étranger et sont potentiellement des «cas importés» comme se plaisent à le répéter les autorités sanitaires?

Il y a certes des précautions à prendre mais il faut d’une part de la vigilance pour les prendre tout au long de la chaîne et d’autres parts veiller à sauvegarder en toutes circonstances la dignité des citoyens et ne pas les traiter comme des pestiférés.

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